Il ressort de ces échanges que la gestion du patrimoine touristique est par essence paradoxale : si la mise en valeur les éléments remarquables de l’histoire ou des paysages crée un attrait, elle crée dans le même temps un risque pour la préservation des sites que les flux de touristes contribuent à dégrader.
Le concept de préservation qui est attaché à la définition du patrimoine mondial de l’humanité (qui recoupe en de nombreux points le patrimoine touristique mondial) pose problème aux pratiques actuelles du tourisme qui sont basées sur la notion de flux de personnes.
Cela pour deux raisons : d’une part le comportement touristique qui consiste à « voir » les sites dans un rythme et des parcours qui ne sont pas forcément positifs pour le site (cf. les grottes de Lascaux dégradées par la sur visite) ou pour l’expérience du touriste (cf. les pyramides de Gizeh visitées à la chaîne dans un environnement qui s’urbanise de plus en plus et perd de son exception), d’autre part la question du financement de ces sites qui provient essentiellement des fruits directs ou indirects de leur visite par les touristes.
Ce tableau d’ensemble pourrait donner le sentiment d’un cercle vicieux, mais il apparaît que des bonnes pratiques émergent et gagneraient à être généralisées :
Pour les offices de tourisme :
o Elargir au maximum les sites visitables pour « éclater » les flux de touristes et moins sur-solliciter certains sites
o Développer de nouvelles pédagogies comportementales en direction du tourisme (quelle est la valeur de ce que l’on visite, quels réflexes s’imposent dans ce cadre, quelle participation a le touriste dans la préservation du site)
Pour le tour operateur :
o Créer des parcours de visite qui recréent à la fois un sentiment d’exception pour le touriste et qui contribuent à préserver les sites qui donnent un sens à leurs produits de voyage touristique (cf. la visite du Grands Canyon qui se fait en barque suffisamment espacées les unes des autres pour que chacun ait l’impression d’être le premier à découvrir le site et pour que le nombre réduit de passage atténue l’effet négatif du tourisme sur l’écosystème du site)
o Développer une approche du tourisme de plus en plus basée sur le sight-feeling (ressentir le site) et moins sur le sight-seeing (voir le site) ce qui contribuerait à maximiser l’expérience touristique et modifier les comportements de consommation de touriste pour une attitude plus respectueuse
Pour les guides touristiques :
o Poursuivre le travail d’approfondissement de la présentation des sites (leur histoire racontée plutôt que leur simple apparence) pour donner plus de sens au patrimoine
o Développer le goût chez les touristes des « à côtés » de la visite (petites adresses, quartiers périphériques moins connus mais intéressants pour le touriste, autres manières de visiter, etc.) afin de renouveler la
Pour conclure de manière iconoclaste, on pourrait dire qu’il reste à inventer le tourisme Ikea, du nom de la firme du meuble en kit qui organise la visite de ses magasins de manière à ce qu’on y passe du temps, que l’on voit un peu de tout et que l’on puisse laisser libre cours à son envie de toucher parce que des répliques du « patrimoine » sont disponibles sur l’ensemble du parcourt. Ce serait un peu découvrir Angkor en suivant le chemin du prêtre qui y officiait et pouvoir tous les cent mètres, manipuler une réplique de ce qui a fait la splendeur du site, sans toucher aux pierres qui en sont le témoignage.
Robert Kassous / Guillaume Demuth