Maroc : Ouvrir une carte et pointer au hasard d’une révolution de l’index une destination – comme le font les héros des films d’aventures – c’est, un peu comme la montée des marches vers l’amour de Clémenceau, le moment jouissif du voyage.
Mais il n’est point tout à fait de hasard, « tout est épreuve ou punition ou récompense ou prévoyance » comme le disait Voltaire.
Et à notre bonne fortune de baiser les terres du Maroc ; la récompense ! Celle dessinée dans les pourtours d’une boucle partant de Marrakech pour descendre le long de la Vallée du Drâa jusqu’à Zagora, qui annonce dans sa fadeur patrimoniale, les portes jubilatoires du désert. Viendront ensuite Tata, puis Taroudant, et comme un prétexte pour rallonger un peu ce parcours nomade, Ouirgane, un subterfuge à la façon d’un préambule avant le retour vers la Cité Rouge et son brouhaha de ville d’Europe.
Nomades modernes, nos malles sont des sacs robustes et étanches, les calebasses des bouteilles écoconçues et auto-nettoyantes, les crèmes (de la crème !) de chez la Biosesthétique. Pas de boussole mais pas de GPS non plus, une carte Michelin seule, parrainée d’une GoPro et d’un Lumix pour saisir l’instant, et les quelques pages savantes du Guide Bleu.
Ce sera pour une équipée franco-britannique de deux femmes en selles sur des montures Royal Enfield, modèle Himalayan. Des monocylindres 4 temps de 182 kg pour une échappée douce de 1100 km en 500cc, dans le sud-est marocain. Modernes Nomades.
1. Marrakech. L’arrivée qui annonce aussi le épart. Les sangles, les sacs, les motos et les casques, un système intercom à pairer et des tenues prêtes à répondre aux températures annoncées chaudes. Mais qui sait ce que les caprices du ciel réserveront ? Dernier point sur la carte et la route à suivre le lendemain matin… Ce sera la N9 pour Ouarzazate puis Agdz. La première halte.
Mais avant cela, nos appétits d’aventurières vont se rassasier au restaurant El Aïn du Fairmont Royal Palm où nous sommes descendues. Question de paqueter un peu de confort. Comme si nous n’en sentirions plus le goût durant des semaines. Comme si. Au programme de ce premier soir, un plongeon un peu couard mais gourmet au cœur du Maroc en forme d’une pastilla au poulet et d’un tajine de fruits de mer que nous partageons allègrement, avides de nous imprégner rapidement des délices du pays. La nuit tombe doucement et avec elle, un voile presque frais qui couvre à peine les dernières exhalaisons d’une journée de soleil. Et dans cette nuit épaisse, la cannelle, le cumin, la muscade et le clou de girofle se mêlent sans effort aux stridulations des grillons et aux coassements de batraciens invisibles.
Une nuit au … Fairmont Royal Palm, www.fairmont.com
Situé à moins de 15 minutes de l’aéroport de Marrakech, le Fairmont Royal Palm est la promesse d’une déconnexion. Inscrit au cœur d’un parc paysagé de 231hectares, l’hôtel imaginé par l’architecte Jean-François Adam se vit au rythme d’une kasbah un peu chic, entre farniente assumée en bord de piscine, ou promenade dans les jardins avec vue sur les montagnes de l’Atlas. Décorés de pièces d’artisanat et de mobilier design, l’hôtel, ses six restaurants et son spa de 3500m2, offrent toutes les commodités d’une destination cossue, décorés de riches étoffes dont les couleurs sont celles d’une nature sublimée.
2. Marakech – Agdz. C’est la traversée du Haut Atlas, par la route du Tizi-n-Tichka, son point culminant qui pousse à 2260m d’altitude. Sur la carte, la N9 annonce 277km jusqu’à Agdz, là où nous nous arrêterons aujourd’hui. Les dernières reliques des villes passées, le paysage se transforme en une chaîne de montagnes habituées aux vents forts et au froid d’hivers rigoureux, un ubac tapissé de forêts de chênes et pins d’Alep autour desquels des torrents, déjà un peu secs, sillonnent mollement.
Le col des Pâturages passé, point routier le plus haut du Maroc, c’est la bascule. Un saut dans un paysage aride, qui annonce déjà le désert. Les occasions d’arrêt des véhicules sont nombreuses et permettent de contempler l’étendue qui s’offre à nous dans l’impressionnant silence des montagnes. Nous ignorons Telouèt et Aït Benhaddou, préférant nous laisser porter par l’enivrement que procure les courbes et lacets des montagnes. Et peut-être aussi pour arriver avant la nuit à Agdz. Car s’il nous reste moins de 170km à parcourir, il faudra compter près de 3h de route pour les compléter. Mais déjà, Ouarzazate qui marque notre entrée le long de la vallée du Drâa, ses ksours et ses kasbahs qui s’enfilent au gré des virages et cette palmeraie dans un gris troublant, le suffixe de l’hiver.
Une nuit à… Ecolodge Bab El Oued www.ecolodgemaroc.com
Ecolodge de charme, Bab el Oued est aussi l’une des premières adresses du Royaume à avoir entrepris une sérieuse démarche écologique : station de traitement, décoration 100% locale, jardin potager et menus de saisons, linge de maison écologique et produits d’accueil 100% naturels sont autant d’attributs à cette adresse dotée de 10 lodges individuels. Décorés avec soin et goût, ils comportent tous des salles de bain à l’italienne en tadelakt dont l’eau est chauffée par panneaux solaires. Dans ce jardin qui couvre un total de 2 hectares, vous croiserez une piscine mais aussi une famille de chats, des paons qui arpentent inlassablement les murs de pisé et plus loin, des poules, des chèvres et même des ânes et chameaux. N’ignorez surtout pas le couscous du menu, dont la semoule est aussi légère que les aigrettes de la dent-de-lion au vent.
3. Agdz – Zagora. Quelques msemmen, des baghrir tartinés de confitures maison et deux tasses de thé à la menthe du jardin avec pour set de table la Michelin dépliée sur les parties de route qui nous intéresse. C’est le matin. Une affaire de 100km à peine pour 1h30 de route seulement nous attend. Une journée de repos en somme ! Nous trainons un peu autour de ce festin sucré, grattant du bout des doigts les souillures des confitures tombées en confettis de sucre sur la carte Michelin. Ouarzazate est aux coings et Zagora couronnée à la marmelade d’orange.
Et enfin le départ. Les sacs harnachés, nous empruntons le chemin de la kasbah. Puisque nous en avons le temps. Un dédale de pistes… « c’est facile, à gauche, à droite… et toujours tout droit ». Dans ce labyrinthe qui nous traque, nous passons de vieilles maisons construites en pisé jouxtant des bâtisses tristes et modernes de parpaings. Le Ksar de Tamnougalt insolent de beauté. Les enfants s’amusent de nous voir passer et repasser parfois, jusqu’à ce que la targette de la kasbah saute enfin et de voir apparaitre la N9 salutaire, le cours du Drâa, les cultures irriguées, cette palmeraie comme un tapis épais et les bâtisses en pisé. Puis enfin, Zagora et sa langueur monotone de ville frontière. Celle du désert.
Une nuit à… Villa Zagora, www.mavillaausahara.com
Une maison d’hôtes aux portes du désert imaginée par une passionnée de la destination. Dotée de quatre chambres, deux suites et d’une tente berbère postée sur le toit, la Villa Zagora respire la demeure de famille dans laquelle se mélangent avec goût les effets et rémanences des passages de voyageurs. Livres d’histoire et romans, tableaux d’artistes mais aussi objets d’artisanat local, hantent cette petite demeure bohême pleine de charme. Située à proximité du centre, sur les bords du fleuve du Drâa, elle permet tout autant la déconnexion qu’un accès rapide aux commodités du centre de la ville. Ou même aux dunes de Nakhla qui ont fait le délice de nos motos en cette fin de journée enveloppée dans une hésitante brume de chaleur.
4. Zagora – Tata. « Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait », déclarait Nicolas Bouvier dans L’Usage du Monde. Quête ou répit, leurre ou graal, l’ailleurs s’impose pourtant pour certains comme un verre d’eau fraîche au vagabond. Dans ce choix que nous faisons de nous évader – bien plus que de nous enfuir – il y a l’envie de découvertes certes, mais aussi la nécessité d’abandon d’un trop plein d’énergie qui déborde et ne sait que faire de ses effusions que les espaces restreints des villes ne savent pas contenir. Un paysage ouvert, vaste, indompté, remisé aux aléas somptueux des vents sauraient sans doute lui nous asservir à ses excès et courants. Ce fut le cas sur cette route qui ferme les portes de la région du Drâa-Tafilalet pour ouvrir celles de Souss-Massa. Une route droite, ouverte, grand angle, frappée par un climat aride et les arêtes acérées du Jbel Bani, les plaines d’acacias, les cascades de Tissint et la Maison de Charles de Foucault. Une journée dans un halo de bleu et orangé. Sans points cardinaux.
Une nuit à… Le Relais des Sables, +212 5288-02301
Pause intermédiaire entre deux destinations, ancien centre de garnison, Tata est une ville de passage qui n’affiche que peu d’adresses hôtelières. Le Relais des Sables, sans extravagance, est une des quelques adresses sures de la ville, présentant des chambres nouvellement refaites, immaculées et confortables, ainsi qu’un bassin d’eau, idéal pour se rafraîchir de la fin d’une journée trop chaude passée sur les routes de l’Anti-Atlas. D’ici l’on peut rejoindre rapidement la ville et son petit souk qui s’éveillent au point du jour et où s’affairent les hommes derrière leurs étals et les femmes revêtues de leur longue robe et voile noir.
5. Tata – Taroudant. Comme une rampe de lancement, trente-six kilomètres pour commencer l’ascension vers les routes de l’Anti-Atlas et laisser derrière soi celles du désert. L’oasis d’Imitek et ses bergers nomades qui mènent leurs troupeaux sur les hauts plateaux, de vieilles forteresses, sentinelles déchues des vallées, dont les contours attristés festonnent aujourd’hui les hauteurs de la ligne d’horizon. Puis à 1800m d’altitude, le point culminant, le village fortifié d’Igherm, dont la population, celle de la tribu des Ida Oukensous, se nourrit encore des contes anciens, où poignards et fusils précieusement ouvragés protégeaient sans scrupules leurs vallées. Pétries de lumière, repues de soleil, les visages lacérés par les vents frais et parfois hostiles, nous arrivons enfin dans la ville de Taroudant.
Une nuit à … Dar Al Hossoun, www.alhossoun.com
Plus qu’une simple adresse hôtelière, Dar Al Hossoun est sans doute un peu, d’abord, un jardin. Une exception de 8500m2 – ancienne propriété d’architectes-paysagistes, devenu plus tard celle d’Ollivier Vera récemment disparu – qui porte en elle toute l’élégance d’un jardin botanique comptant aujourd’hui plus de 1000 espèces de plantes et arbres, et quelques 300 espèces de cactus. Dans cette oasis de verdure, un couloir de natation pour les jours de grand chaud et 18 chambres et suites, toutes décorées avec soin et maîtrise, affichent de très belles pièces d’artisanat et quelques morceaux choisis de mobilier design. L’on s’y arrête tout autant pour la sublime parenthèse verte qu’elle offre, couronnée du braillement de quelques paons et de l’indifférence royale de chats assoupis, que pour sa table gourmette qui ose avec brio les façons japonaises et françaises conditionnées aux rythmes des produits de son potager et à ceux des saisons.
6. Taroudant – Ouirgane. Une matinée à se perdre dans le Grand Souk de la ville fortifiée, ancienne capitale des Saadiens, qui arbore la mine sereine des villes moins assaillies que d’autres par le tourisme de masse. Pourtant, dans les ruelles de Taroudant, le cumul des artisans de toutes obédiences est plutôt alléchant : bijoutiers, antiquaires, fabricants de tapis, dinandiers ou sculpteurs déploient ici tous les effets des fabrications artisanales de la région. Une aubaine grouillante que nos deux roues ne pourront accueillir que de façon restreinte.
Puis vient l’heure de prendre la route de Tizi-n-Test. Une expérience jubilatoire en forme de coudes et de lacets, de boucles et de sinuosités à donner le vertige, un mirador qui offre du col de Tizi-n-Test jusqu’aux contreforts du Toubkal, une vague plongeante, sublime, sur la plaine du Souss ponctuée de virgules de Pins d’Alep et Cyprès au sortir de leur sommeil d’hiver. Soixante-douze kilomètres seulement et près de 2h d’un effort jouissif jusqu’à Ouirgane. Dopamine en barre.
Une nuit à… Domaine de la Roseraie, www.laroseraiehotel.ma
Un long chemin sinueux mène jusqu’à la Roseraie, ancienne ferme-relais devenue une adresse hôtelière de charme depuis son rachat en 1969 par Abdelkader Fenjiro, premier Directeur Général marocain de La Mamounia. Dirigée encore aujourd’hui par la même famille, La Roseraie s’est depuis agrandie avec un total de 40 chambres et suites disséminées sur une partie de la propriété de 23 hectares. Le reste est entièrement consacré au jardin, ses rosiers et autres plantes et arbres, et à la culture potagère qui sert en cuisine. Elégamment décorée sans excès ou tentations ostentatoires, l’adresse révèle un esprit de maison de famille avec de beaux espaces pour se détendre dans le calme des terres berbères du Haut-Atlas.
7&8. Marrakech. Le retour à la ville s’effectue en moins de temps qu’il ne faut pour se remettre de ce plongeon façon Grand Bassin. Avec un peu d’autorité, nous forçons la marche pour enjamber les souvenirs et poursuivre nos découvertes. Il y aura l’éternel Fondation Yves Saint-Laurent et le Jardin de Majorelle bien sûr, l’exquis Dar el Bacha et son Musée des Confluences. Un passage pour voir et être vu(es), au Grand Café de la Poste et de reprendre nos délectables velléités citadines. Et puis aussi, une nouvelle adresse en forme de cœur pour le dîner : le Sahbi Sahbi et sa cuisine traditionnelle marocaine sublimée par un écrin somptueux et l’énergie jubilatoire de femmes en cuisine, fières de partager leurs délices. Et puis enfin, au WA Marraekch, le sanctuaire spa et bien-être du Riad 72, une session hammam faite au savon noir serti d’eucalyptus fauché par les mains râblées de Nadia, suivi d’un massage à l’huile d’argan laissé au gré des doigts experts d’Azzedine. Un rituel, plus palier initiatique que passage purgatif, qui touche ici l’excellence, une session singulière, unique, qui loin des mantras tardtionnels, s’ajuste en délicieuse harmonie aux besoins du corps, et dont les effets subsistent jusque, quelques jours plus tard, dans ce taxi qui nous ramène vers Menara pour notre vol de nuit. Celui du retour.
Une nuit à… Riad Olema, www.riadolema-spa.com
Une adresse que l’on connait et apprécie pour l’élégance raffinée de sa décoration franco-marocaine, le calme de son enceinte et la qualité bienveillante de son accueil. Avec quinze chambres seulement, ce Riad composé de deux bâtisses reliées par des toits-terrasses, doté d’un petit Spa et d’un restaurant de cuisine marocaine exquise, est la promesse d’une parenthèse captée au rythme indolent du clapotis de ses bassins. Situé à quelques minutes seulement de Bab Doukkala, l’adresse permet de partir explorer le dédale des ruelles de la Médina ou de rejoindre aisément les grands sites de la ville. Idéale.
Carnet pratique
Se rendre au Maroc au départ de Paris avec Easyjet, qui effectue des vols quotidiens au départ de six villes françaises vers Marrakech. Plus d’informations sur www.easyjet.com
Agence Terre, Mer, Adventure, tour opérateur spécialiste des circuits découverte en quads, buggys et motos au Maroc. L’agence permet aussi la location de ses véhicules.
Plus d’informations sur www.terremeradventure.com Pour l’achat, rendez-vous chez Motorpsorts à Casablanca, concessionnaire officiel et exclusif, entre autres, de la marque de motos indiennes Royal Enfield. Plus d’informations sur www.motorsportsmaroc.com
Fondation Yves Saint-Laurent, Le Jardin de Majorelle, www.museeyslmarrakech.com et www.jardinmajorelle.com
Dar El Bacha, Musée des Confluences, www.darbacha.com
Grand Café de la Poste, www.grandcafedelaposte.restaurant
Sahbi Sahbi, www.sahbisahbi.com
WA Marrakech Hamma Spa, www.wamarrakech.com
72 Riad Living, www.riadliving.com
Photos : Fabienne Dupuis & Karin Hignett