Huit idées pour voir Los Angeles. sous un nouveau jour
1 Abeille bleue en blue jeans
Pour bien entrer dans le bain dès Orly, sans faire escale à mi-course et passer par l' »immigration » à une heure indue, on optera pour les Paris-LA directs et pas trop chers de la compagnie à bas coût française French Bee .Liquette en jeans stretch pour les hôtesses, saharienne à manches courtes en jeans également pour les stews, la compagnie au papillon bleu fait un clin d’oeil et un battement d’aile à la légendaire et costaude « toile de Gênes » (« jeans« ) ou « de Nîmes » (« denim« ) : c’est cette matière inusable qui composait les pantalons des chercheurs d’or du Gold Rush en route pour la Californie. L’atmosphère à bord se veut donc décontractée, avec un équipage qui aime à prodiguer ses conseils et bonnes adresses sur LA et, au retour, à échanger ses souvenirs – et parfois son « omelette de l’équipage » – avec ses chers passagers low cost.
2 Le Ranch de la Poisse
Emergeant du Pacifique, Los Angeles, ses collines et ses 88 quartiers sont nés du plissement des plaques géologiques, capturant dans leurs creux, comme un chat dans une couette, des tonnes et des tonnes de micro-organismes. Une pourriture noble qui mutera en hydrocarbures. La Cité des Anges ? Un champ pétrolifère ? Oui, puisqu’on y forera 1250 puits. En 1892, les premières « têtes de cheval » (les pompes à pétrole) délivraient 40 barils par jour. Dix ans plus tard, près de 2 millions. Plus étonnant encore, à cette heure, on extrait toujours de l' »huile » (oil) sur South Mountain View Avenue, au niveau d’lvarado Street. Là se dresse pieusement le dernier derrick de LA, qui fourgue difficilement ses 3 barils quotidiens – à environ 100$ la pièce. Mais ce pétrole, vous pouvez aussi le voir, le sentir, en gagnant Hancock Park, sur Wilshire Boulevard. Ici se trouvait le ranch La Brea – en espagnol : le « ranch de la Poisse ». Ici baillent des « nids » (pits) d’eau, stagnant sous une croûte de mélasse noire : du naphte, échappé des plis du sous-sol, infiltré par les fissures, étalé en surface.
Dans les allées du parc, des statues de bestiaux de l’ère quaternaire, et surtout un imposant musée, content ce qu’on a trouvé dans la substance visqueuse : des dizaines de milliers d’animaux, tombés et englués dans le liquide noir après s’être trop penché, mastodontes aux défenses tordues, paresseux géants, ancêtres du chameau et 3600 canis dirus, le super-loup (1 m au garrot) qui figure en bonne place dans la faune fantaisiste du Seigneur des Anneaux.
3 Les secrets de la statuette
Juste à côté de ces mares gluantes, un musée se consacre à l’usine à rêves sirupeux qu’est Hollywood. C’est le Musée de l’Académie du cinéma (Academy Museum of Motion Pictures) alias Oscars Museum. Entre le Lacma (Los Angeles County Museum of Arts) et le Soap Bubble (la « Bulle de Savon », cinéma de 1000 places dû à Renzo Piano), ses salles proposent des expos thématiques et offre au culte populaire ses reliques permanentes : nunchaku de Bruce Lee, luge Rosebud du film Citizen Kane, méli-mélo électronique des robots de Jurassic Park, masques, costumes, décors, caméras, tables de montage de l’ancien temps.
Y rutilent également de vrais Oscars, offerts ou vendus par des personnalités souvent bien oubliées. Hautes de 34 cm, pesant 4 kg, on détaille ici 19 statuettes (en français dans le texte), 19 parmi les plus de… 2300 moulées pour récompenser les grands du cinéma. En France, le César a été conçu par le sculpteur César, mais l’Oscar ? Rien à voir avec le nom du sculpteur – un certain George Stanley. Ce surnom a été trouvé par un critique du 7e Art, à qui leur forme, raide comme un piquet, rappelait le chef d’orchestre Oscar, dans une pièce de boulevard de l’époque. Il est passé dans l’argot de Hollywood parce que Katharine Hepburn – réputée pour ses 150 liaisons féminines – semblait y être abonnée : oscar en argot américain étant un des noms du godemiché… Mais ça, le musée, très « woke », vous ne le dira pas !
4 Un studio… sur écoute
Dans cette vaste demeure du 624 South La Brea Avenue, Chaplin avait son quartier général. Avec studio. Chaux à l’extérieur, brique gris perle à l’intérieur, l’édifice au plan en « H » s’organisait autour d’un cortile dans le style mexicano-hispano-mauresque, avec moucharabieh de fer et fontaine en carreaux de faïences.
Depuis 1929, Chaplin y montait ses films de plus en plus politisés, sous écoute permanente du FBI, qui y voyait un espion à la solde de Moscou et un consommateur effréné de jeunes filles naïves. Au finish, en 1952, la « Commission contre les activités anti-américaines » profitera d’une tournée de promotion en Europe de l’acteur britannique pour annuler son visa de retour. Réfugié en Suisse, le vieux Charlot écrira amèrement : « A vrai dire, peu m’importe si je peux ou non retourner dans ce triste pays : je suis fatigué de l’arrogance morale de l’Amérique ». Aujourd’hui, ses bureaux sont devenus le restaurant Republique, tout indiqué pour un repas d’huîtres ou un brunch généreux. Une cuisine avec des réminiscences françaises, mais des portions bien américaines.
5 A telle enseigne
A LA, y a-t-il monument plus connu qu’elle ? C’est pourtant un des moins visités que cette incontournable enseigne « Hollywood ». C’est cependant possible grâce à l’esprit piquant d’Elise Goujon (www.losangelesoffroad.com ), vous randonnerez jusqu’au pied de la plus célèbre enseigne du monde, en groupe de 10 personnes maxi. Attention aux serpents à sonnettes ! Le contrôle du stationnement étant dissuasif dans le hameau très chic situé au pied du « peak », la montée dure une bonne heure – qu’Elise rend rafraîchissante grâce à une pluie d’anecdotes. Ainsi, le « sign » d’origine titrait « Hollywoodland » (« terrains de Hollywood »), vantant une opération juteuse montée en 1923 par un agent immobilier pour brader le lotissement alentours.
Une pub, donc, éclairée la nuit par 4000 ampoules. Une fois ses terrains vendus, le Stéphane Plaza du cru laissa péricliter l’enseigne, conçue pour ne durer que quelques mois. Les lettres se dégradèrent tant et si bien que, lors de la restauration, on laissa tomber – ou plus exactement, tombées – les quatre dernières : « L », « A », « N », « D », dans un état trop pitoyable. En 1978, le fondateur du magazine Playboy, Hugh Hefner lança une souscription pour ressusciter le « sign », dont tout le monde avait la nostalgie. Initiales oblige, Hefner finança le « H ». Le chanteur Alice Cooper, lui, prit en charge la restauration des « O ». Aujourd’hui, l’enseigne est protégée par caméras et hélicoptères. Cela a permis de suivre un peu les pérégrinations du puma de Hollywood, fauve solitaire condamné à l’extinction puisque sans femelle dans les parages. Le félin a été euthanasié en décembre 2022 : son corps était trop marqué par 11 ans d’une vie aventureuse et fantomatique.
6 Un cadeau encombrant
Le colonel Griffith Jenkins Griffith était très riche. Il tenait à faire un don pour la ville qui avait fait sa fortune. Cependant, il eut le mauvais goût, lors d’une scène de ménage, de révolvériser son épouse. Elle survécut aux balles conjugales, mais le milliardaire dut faire un détour par la case « prison ». Indignée, la très moraliste municipalité de LA refusa d’abord bravement le don, puis, lisant le montant du chèque, se fit une douce violence : se pinçant le nez, elle consentit à se faire offrir ce magnifique observatoire art déco.
Il se visite, le week-end uniquement, du vendredi au dimanche. Comme tout observatoire, il s’ouvre la nuit pour se braquer sur les étoiles, mais en attendant, les foules affluent pour s’offrir le très terrestre panorama sur la Cité des Anges – du moins lorsque le smog ne se fait pas trop épais. Sur l’esplanade, le monument aux astronomes a été sculpté par le même George Stanley que celui qui exécuta la statuette des Oscars. L’observatoire a, entre autres oeuvres, servi de décor pour la rixe au couteau de La Fureur de vivre (1955), ultime film de James Dean. L’acteur sera fauché juste après par la mort à 24 ans, au croisement de la route 41 et de la 46, plus au nord, du côté de San Luis Obispo.
7 Ascenseur pour les boeufs-carottes
Construit par un magnat de la mine, Bradbury Building et ses briques émaillées néo-Renaissance, fut lui aussi décor de nombreux films : Blade Runner, The Artist, Mission : impossible… La légende veut que le constructeur, totalement néophyte en architecture, ait dessiné les plans en interrogeant les morts grâce à une planche oui-ja en séance de spiritisme.
Selon d’autres sources, il se serait plutôt inspiré d’un roman de science-fiction décrivant l’an 2000. Quoi qu’il en soit, ce bâtiment est un des rares à avoir conservé le tout premier système d’ascenseur d’Otis, montant et descendant sa cage à l’aide d’un piston hydraulique. On peut toujours observer le fonctionnement. Surnommé « le Gril » le bâtiment abrita l’équivalent de nos « boeuf-carottes », police des polices chargée de cuisiner les collègues du lieutenant Columbo en épluchant alibis et enrichissements suspects.
8 Je te salue, Venise des étoiles
Santa Monica, c’est d’abord son embarcadère et les montagnes russes qui lui font cortège, comme pour célébrer par une fête foraine la fin de la mythique route 66 – dont le dernier mile vient mourir ici, contre les vagues à surfeurs du Pacifique nord. Non loin de là s’étend Muscle Beach, la plage où les gros bras californiens se font une beauté, et Malibu où les plus célèbres maîtres nageurs du monde scrutent toujours l’horizon – écrasés par les physiques encombrants de Pamela Anderson et David Hasselhoff.
Santa Monica, c’est encore le musée Getty et la villa de même nom, copie d’une villa romaine digne du Domaine des Dieux d’Astérix. Quant à son arrière-pays, c’est sans conteste le projet dément de Abbot Kinney. Ce riche promoteur voulait doter LA d’une copie de Venise.
Non content de ne pas laisser les gondoles à Venise, il fit même venir avec elle… leurs gondoliers. Ce parc de loisirs avec lac et petit train sera achevé en un an, mais… la municipalité déteste cette excentricité où chaque rue porte le nom d’une constellation. En 1927, un tribunal administratif met fin au délire : en quelques mois, 100 000 tonnes de remblais comblent les 23 km de voirie aqueuse. N’en reste que quelques canaux pour les touristes et cyclistes : la plupart sont devenus des rues, conservant leur nom, tel la rue Altaïr ou Grand Canal, asséché en Grand Boulevard. Mais le nom de Venice est resté au quartier.
Texte et photos Dominique de La Tour