Dans ce département discret, Alfred Jarry et le Douanier Rousseau nés à Laval ont sans doute inspiré les artistes iconoclastes locaux qui méritent un détour : Robert Tatin, artiste bâtisseur, Leb, peintre et sculpteur, sans oublier le très beau Musée d’Art Naïf de Laval. Une journée de dépaysement total !
Art Naïf, Art Singulier, Art Brut…ces termes apparentés donnent souvent lieu à des confusions car seules quelques nuances parfois les distinguent. Pour simplifier disons qu’il s’agit de productions réalisées par des non professionnels, à l’écart de toute culture ou formation artistique et ignorant l’histoire de l’art. Aucun intellectualisme dans ces créations spontanées, surprenantes voire géniales, qui émanent du plus profond d’individus vivant à l’écart du monde de l’art. Ils sont souvent travailleurs manuels, artisans et même, pour l’Art Brut – terme inventé en 1945 par le peintre Jean Dubuffet – des êtres perturbés mentalement dont les hallucinations sont à l’origine de réalisations d’un raffinement troublant. Il est néanmoins important de ne pas confondre ces œuvres avec ce que l’on nomme Art Populaire, issu de traditions régionales bien identifiées et transmises.
L’immersion commence au Musée d’Art Naïf de Laval, introduction idéale à la créativité de cet art protéiforme où aucune œuvre n’est jamais semblable à celle du voisin. Créé en 1967 à l’initiative des artistes Jules Lefranc et Andrée Bordeaux Le Pecq, premier et seul établissement français consacré à l’Art Naïf, le musée est installé dans un magnifique monument historique. En préambule, il définit l’identité de sa collection : « Le terme de Naïf a été employé dès la fin du 19e siècle afin de qualifier les œuvres du Douanier Rousseau. Utilisée tout d’abord de façon péjorative, cette dénomination, bien qu’inadaptée, reste aujourd’hui le vocable le plus usité pour désigner les productions d’artistes autodidactes pratiquant un art qui se situe en dehors de toute catégorie stylistique ». Le Douanier Rousseau initie la visite, suivi de quelques artistes d’origine lavalloise et de bien d’autres.
On remarque en particulier les tableaux de Henri Trouillard, ébéniste et brocanteur hanté par l’histoire des origines dont les plantes exotiques et les animaux préhistoriques peuplent les paysages familiers. Séraphine est bien sûr présente. Mieux connue aujourd’hui grâce au film qui lui fut consacré, cette simple domestique peignit ses natures mortes hallucinées une fois son travail terminé. Alain Lacoste collecte les bouts de chiffon, de bois, de carton qu’il assemble au hasard sur la toile pour former des personnages enchevêtrés vêtus de couleurs vives… Chaque œuvre vous propulse dans un univers insolite et unique.
Dans l’atelier de Jean-Yves Lebreton, dit Leb, la couleur est partout. Et les sculptures qu’il ne cesse de créer aussi. C’est pareil dans sa maison : difficile de se faire un chemin parmi les toiles et les objets qui vous parlent de façon souvent moqueuse et parfois aussi sarcastique. C’est que l’artiste à des choses à dire et ne s’en prive pas à travers son œuvre, prolifique comme lui, grand bavard. Le présent s’invite au bout de ses doigts habiles sous forme d’actualité, pas toujours euphorique, certes, mais “l’indigné en couleurs“ comme il se surnomme, garde toujours le sourire. Il s’inspire des peintres, des poètes, de Brassens, de Ferré. Et surtout de ce qui préoccupe notre temps : la pollution, les mutations culturelles, la religion et ceux qui nous gouvernent. Il joue avec les mots pour créer un personnage, donne forme à une allusion par ci, mets les pieds dans le plat par là, et derrière ses figures qui se tordent en douceur, on perçoit toujours un clin d’œil. Il aurait pu aussi bien croquer les faits-divers dans la presse locale mais il préfère la matière, une résine qu’il modèle avec application avant de la couvrir de couleurs bariolées. Idem pour ses tableaux qui livrent toujours en filigrane un petit message ou une réflexion. Leb est aussi présent au Musée Robert Tatin. Sa grande fontaine qui n’est pas sans rappeler Niki de Saint Phalle vous accueille à l’entrée…
Le Musée Robert Tatin est moins connu que le Palais du Facteur Cheval mais il est apparenté dans sa démarche. Robert Tatin est très jeune attiré par l’art. Curieux de tout il suit les cours du soir des Beaux Arts tout en se formant aux différents métiers du bâtiment, voyage à travers le monde, côtoie André Breton, Jean Paulhan, Jacques Prévert, Giacometti, Jean Cocteau… En 1962, âgé de soixante ans, il revient sur sa terre natale et commence la plus spectaculaire de ses œuvres, une sculpture monumentale, complexe environnement où symboles et mythes guident ses ciseaux et sa truelle. Le visiteur est invité à traverser l’Allée des Géants, sorte de passage initiatique où défilent Vercingétorix aussi bien que Jeanne d’Arc avant le Douanier Rousseau, Paul Gauguin, Alfred Jarry, Jules Verne, Picasso… un surprenant panthéon. A l’extrémité vous attend l’enceinte gardée par un dragon la gueule ouverte. Et à l’intérieur, un labyrinthe de salles ornées d’une multitude d’autres sculptures se faufilant autour d’un bassin en forme de croix où sont représentés les douze mois de l’année. Trône entre ciel et terre Notre Dame Tout le Monde, une vierge religieuse ou païenne… « Tatin ne prétend pas que ses statues soient supérieures à celles de Rodin ou plus modernes que les mobiles de Calder. Dans sa chambre obscure, avec sa truelle et son compas, il montre seulement où se cache la vie », a écrit très justement de lui le critique Otto Hahn.
Pratique
– Musée d’Art Naïf
Vieux-Château
Place de la Trémoille
53 000 Laval
Tél. : 02 43 53 39 89
www.musees.laval.fr
– Musée Robert Tatin
La Frénouse
53 230 Cossé le Vivien
Tél. : 02 43 90 80 80
www.musee-robert-tatin.fr
– Jean-Yves Lebreton dit Leb
www.leb-jyl.com/
http://lebartiste.blogspot.fr
Texte et photos Catherine Gary