Ce n’est pas la région la moins connue d’Espagne, mais c’est une des plus négligées. S’activant entre la mer Cantabrique et les pics d’Europe, cette principauté à l’identité forte a déjà conquis les stars de cinéma, sa bonne cuisine tenant la route face aux rivales basques ou galiciennes de l’España Verde-la verte Espagne de la côte nord.
La côte est rocheuse. Elle alterne les chaudrons de vagues et les plages pâles aux airs de Sussex. Sur l’horizon, le dégradé de bleu trahit des montagnes, cernant un sommet coupant tel un ciseau à bois : les pics d’Europe. Devant, la plaine irrégulière alterne les villages cernés d’arbres et de près, et les usines qui fumotent à la verticale. Vous êtes dans les Asturies, ce triangle couché entre la Galice de Compostelle, la Cantabrie de Santander et la mer. On la connaît de nom grâce à ce titre de « prince des Asturies » porté par l’héritier de la couronne d’Espagne : banc d’essai de la monarchie, la principauté est plus ou moins gérée par lui – comme l’était le Dauphiné par les dauphins de France…
La mer se jette ici, en confiance sur ce vieux rivage au passé celtique. Le long littoral aligne les falaises anguleuses, et la côte continue comme ça, montrant les dents jusqu’à Gijon. C’est ainsi que, croquée comme une tartine par les baies et les criques, Gijon vaut à ses habitants le sobriquet de Culosmoayos – « culs mouillés ».
Bon à savoir pour les Français de l’Ouest : ce port actif peut se gagner par bateau depuis Saint-Nazaire – avec ou sans voiture. Gijon est la plus grande ville, mais c’est Oviedo la capitale. Oviedo est la capitale, mais c’est Avilés qui a l’aéroport, qu’on atteint par les vols low cost de chez Vueling. La ville côtière dotée d’un musée des ancres à ciel ouvert, et des sveltes passerelles et colimaçons du centre culturel Niemeyer, toute dernière oeuvre de l’architecte de Brasilia. Avilés est attachante, avec ses rues à dos d’âne qui montent, descendent, s’écartèlent en trapèze pour une place, s’ouvrent sur le flanc de vastes jardins cachés par les façades. Alignant toute une collection de styles, de longues arcades font doublon avec le pavé des rues. Elles soutiennent des demeures robustes ou modernistes, avec l’aquarium superposé des bow windows si chers à l’Espagne nordiste.
Sous un climat qui tient moins de l’Andalousie que de la Cornouaille, l’Asturien a glissé dans ses villes de touches bleu roi, rouge sang, orange Strauss-Kahn des boutiques et des cidreries. Les intérieurs veillent à copier la chaleur intime d’un pub, avec ces tables installées dans d’immenses fûts de bois, les parterres jonchés de sciure, les fumets brûlants sauvés de la cuisine ou les guirlandes de boudins à l’oignon et de saucisses safranées.
Contre rats et mulots
Rançon d’un climat aux averses généreuses, les paysages asturiens sont riants. Comme des bibelots dans un salon cosy, les fermes isolées osent des pastel bleu ou ocre ; et comme des tables de nuit sur un lit immense et vert, se dressent partout des horreos. Ce sont des greniers, communaux ou privés, que l’on bourrait jadis de céréales. Ils perchent sur des piliers de bois ou de pierre, les pegallos, terminés par de chapiteaux ronds comme des meules, barrant le garde-manger à rats et mulots. Comme le bétail seul est subventionné par l’Union européenne, ils sont devenus superflus, et les 20 000 greniers asturiens se sont donc convertis en silos à granulés, séchoirs à jambons, entrepôts à fromage, poulaillers, vide-poche, chambres d’hôtes…
« Je suis sûr qu’il y en a qui sont des boites de nuits », s’amuse « don » José. En Espagne on appelle « don » un dignitaire de village ; mais cedon-là ne joue pas pour autant les caciques. Son titre ne lui plaît que le temps d’une coquetterie, avant qu’il ne coiffe sans complexe le nom plus roturier de Pepin – le diminutif asturien de Joseph – pour se poser en champion de la culture locale. Notre homme vit là, dans sa ferme Sirviella, près de Cangas de Onis, avec deux chevaux noirs qui portent les bagages des randonneurs : tenant comme deux presse livres les 2648 m de la tour de Cerredo, les pics d’Europe sont presque à la sortie du village. Près de 80 ours y rôdent, plus discrets que les 200 loups qui, chaque année, viennent croquer 2000 têtes de bétail…
Sur sa grande table, Don José apporte la soupe. A suivre, du boudin aux céréales, des saucisses épicées au cidre, du filet de boeuf fondant et un flan fait par maman. Le tout arrosé du cidre national. Notre hôte a une presse dans sa cave. Sous le plafond bas, au milieu des gros fûts de plastique, don José fait descendre la presse : trois types de jus jaillissent du tas de pommes qui craquotte sous la pression. Le premier jus, est un peu fade, le second, plus sucré, et le dernier, un nectar !
Mélangés, les jus fermenteront. Pour devenir la sidra, ce cidre qu’on doit verser en baissant le verre et en élevant la bouteille au dessus de la tête. Sans viser bien sûr – sinon on met à côté. Cette Marocaine qui fait le service dans une cidrerie en ville a pigé le coup : chez elle, à Casablanca, on fait pareil avec le thé à la menthe, et pour la même raison – pour faire mousser le cidre et charger d’air le liquide. On boit cul sec mais par petite dose : en dix secondes le cidre, prend un goût fade et acidulé. Une vraie dynamique de l’art de boire, qui célèbre de manière festive la fabada – le cassoulet asturien, avec son lard, son boudin et ses chorizos.
Outre la fabada dont la recette éveille les disputes entre les fines cuisinières, les Asturies ont une autre gloire : le fromage. Etant allergique, je ne me suis pas appesanti. J’ai quand même retenu qu’il en existait 42 sortes, et qu’ils mettaient aux prises lait cru ou pasteurisé, mêlant sans préjugés vache, brebis et chèvre…
Les grandes villes se sont dressées autour de la pêche, mais surtout de la mine et des industries métallurgiques dont beaucoup sont sous la coupe douteuse de Lakshmi Mittal. Le charbon, puis le zinc des Asturies, aussi le plomb, l’argent et le cadmium. La plupart des puits sont clos. Peu de laminoirs laminent encore. Mais c’est ce secteur brutal qui a marqué l’histoire espagnole, avec les grèves générales de 1934. Menées par socialistes, communistes et anarchistes unis, elles seront réprimées au prix de 3000 morts et 30 000 prisonniers, sous le fusil des troupes coloniales du général Franco. Elles trouveront ici un terrain d’entrainement pour la « guerre d’Espagne », deux ans plus tard.
Promenade figée
Oviedo, la capitale, donc, a été au centre des événements. Sur ses hauteurs, deux petites églises de style asturien marquent le passage d’une très vieille monarchie qui, bien avant les Castillans et les Aragonais, avait entrepris la conquête d’un monde fertile qui commençait à Saragosse : l’Espagne musulmane. L’un de ces sanctuaires, Sainte-Marie, percé de portes et agrémenté de galeries aux chapiteaux raffinés, fut même un de ses palais, au Xe siècle, et son voisin, Saint-Michel de Lillo, dissimule des bas-reliefs de sport médiéval derrière des fenêtres dentelées comme des gaufrettes Gringoire.
Mais ici, côté gâteau, ce sont les carbayones qui trônent. Cette appétissante pâtisserie aux oeufs et amandes, reprend le surnom des habitants, nostalgiques de leur gros carbayon – le chêne pédonculé de la Calle de Uria, scié en 1879. Aujourd’hui, le symbole de la ville serait plutôt son immense auditorium en forme de presse-jus… qui se veut des cils de femmes – c’est du moins le propos de l’auteur, Santiago Calatrava, l’architecte valencien de toute l’Espagne.
Le charme de la cité est de grimper et descendre dans tous les sens, entre avenues à grands arbres, pâtés de maison aux fenêtres rares, ou l’immense marché aux victuailles que seuls des escaliers peuvent caler à plat. Car dans les courettes de plain pied où s’installe les stands de vendeurs de peluches et de fleurs, on aurait du mal à poser une bille sans qu’elle courre vers l’une ou l’autre des portes d’accès.
Des porches qui séparaient jadis les quartiers, les font communiquer aujourd’hui. La grande taille des églises vous met au défi de trouver la cathédrale, et dans le même goût, Oviedo multiplie ces « plaza mayor » que l’Espagne a essaimé jusqu’en Amérique. Dans une rue piétonnière, on bute sur la promenade figée d’un Woody Allen en bronze, les mains dans les poches : un rappel du coup de foudre pour la ville, où le cinéaste néo-yorkais y tourné une partie de son Vicky Cristina Barcelona (2007). Le charme d’Oviedo, lui, a conquis New-York.
Dominique de La Tour
CONTACT
Office espagnol du Tourisme : 22, rue Saint-Augustin, 75002 Paris ; www.spaininfo/fr_FR
LOGEMENTS
NH Palacio de Ferrera*****
Un ancien palais donnant sur la grand place de la ville. Très confortable, mais demandez à l’avance des lits doubles. A noter : délicieuse collation gratuite dans le salon de l’hôtel.
Plaza España, 9, Avilés, www.nh-hotels.fr
Casona del Busto***
Un superbe hôtel ancien, avec des escaliers d’époque et un labyrinthe de couloirs. Recommandons son restaurant sympathique et de très bon niveau, El Patio de Balbona.
Plaza Rey Silo 1, Pravia www.theglasshouse.ie
Sidreria Tierra Astur
Un restaurant mis en place par un organisme de préservation des traditions et de la gastronomie asturienne, un vrai repas local servi avec gentillesse. A ne pas manquer : l’excellente fabada.
Calle Gascona 1, Oviedo, www.tierra-astur.com
Los Arcos
Un bar animé servant des plats simples, aussi un restaurant plus soigné – le meilleur repas du voyage -, mais toujours avec des plats asturiens : c’est au choix.
Plaza del Ayuntamiento, 3, Cangas de Onis ; www.restaurantelosarcos.es
VOYAGISTE
Allibert organise des randos dans les pics d’Europe.
www.allibert-trekking.com
TRANSPORT
Vueling, la compagnie low cost spécialiste de l’Espagne, propose trois liaisons directes par semaine pour Oviedo-Avilés, ou quotidiennes en correspondance depuis Barcelone. Départ d’Orly. A partir de 49,99 E aller simple.
www.vueling.com