Parfois prise dans les griffes d’une image délustrée, la très fière ville de Calcutta promet une aventure extraordinaire aux voyageurs en quête de saveurs et truculence. Découverte.
Singulièrement, Calcutta est l’une de ces villes dont chacun semble avoir une image inconsciente. Faites-le test autour de vous… Elle est là, coincée dans les couleurs sépia de vieilles Kodak passées et le jaune canari de ses Morris III estampillées Ambassador. Au bout du bout, l’on y trouve imparablement le gène misérable de toutes les insuffisances que le sourire infatigable de Mère Thérèsa semblait presque conjurer dans les années 70.
De fait, dans une forme d’injustice irrationnelle et assumée, la capitale du Bengale-Occidental devenue Kolkata depuis 2001, troisième ville la plus peuplée d’Inde, peine trop souvent à convaincre les voyageurs. Une incohérence que Husna-Tara Prakash, propriétaire du nouvel hôtel The Glenburn Penthouse à Kolkata (et depuis 2002 du Glenburn Tea Estate à Darjeeling), a bien décidé de déconfire par un argumentaire construit et passionné. Construit car elle connait la ville et son histoire sur le bout des doigts et anime elle-même les tours organisés pour les hôtes du Penthouse. Quant à la passion, venant de celle qui aime à raconter laconiquement qu’elle voyageait autour du monde en sac à dos lorsqu’elle a rencontré un propriétaire de plantation de thé avec lequel elle est aujourd’hui mariée depuis près de trente ans, celle-ci se passera bien d’explications circonstanciées.
The Glenburn Penthouse
Postés au septième étage d’une tour moderne scrupuleusement triste, les hôtes du Glenburn Penthouse ne manqueront pas d’admirer ce que les Prakash avaient alors saisi. D’ici la vue offre la mesure de l’enjeu : plongés dans la brume sèche et rosâtre de la ville, le pont Howrah à droite qui enjambe la rivière Hooghly, branche occidentale du Gange, et le Victoria Memorial à gauche baigné dans son parc manucuré de 23 hectares.
L’on est spontanément saisi par la grâce soyeuse qui s’en dégage. Car dans son chaos urbain de mégalopole indienne, Kolkata est aussi l’une des cités les plus gracieuses qu’il soit possible de visiter. Décatie, décrépite, décharnée. Et sublime.
Sept années de travaux auront été nécessaires pour transformer les deux derniers étages de la tour, réenchantée par la décoratrice d’intérieur australienne et Dilliwalah d’adoption, Bronwyn Latif, déjà aux commandes de l’univers du bungalow et des 4 chambres du Glenburn Tea House. Sept années donc pour créer un espace à l’esprit colonial-moderne paré de marbres du Rajasthan, d’une palette de tons pastel presque insolents et de rouleaux de papier peint Hindustan en provenance de France ! Entre salon cossu, chambres admirablement appointées de meubles soigneusement chinés ici et là, le Glenburn Penthouse offre la parenthèse, et la hauteur !, nécessaires pour se préparer à découvrir la ville. Une antichambre délectable qui servira plus tard de sas de décompression exquis.
Kolkota, ville d’histoire(s)
Si celle-ci existait bien avant l’arrivée des Britanniques et de la East India Company créée en 1690, il faut se résoudre à admettre que c’est grâce au développement du commerce des comptoirs anglais au XVIII puis XIXème siècles que la ville prit son essor. Et ce jusqu’en 1911. Lorsque Delhi lui fut préférée pour devenir la capitale du Raj. S’ensuivent alors la chute de l’Empire, des guerres, la famine, quelques révoltes et une partition, la crise des réfugiés bangladais, plus de protestations et une pauvreté pétrifiée, affichée aux yeux du monde. La chute est inéluctable.
Engluée dans son essor passé, la ville s’entreprend aujourd’hui comme un véritable ouvrage d’histoire. Une lecture à ciel ouvert qui commence sans doute par sa vaste collection architecturale qui, au fil des décennies et des avenues, s’est nourrie de toutes les poussières et influences. Arméniens, grecs, chinois, portugais, communautés juives et anglo-indiennes, se sont installés ici, génération après génération, en laissant dans le chaos de cette ancienne cité impériale, une pléiade d’édifices parés de vitrages ornementaux anglais, de portes-fenêtres françaises, de chandeliers vénitiens ou d’arches de l’ère moghol. Il suffit pour cela de déambuler dans les rues des quartiers de Park Street, Maidan ou Chowring-hee, coincées entre des fils électriques en vrac, les margousiers, manguiers et autres ficus qui reprennent exubéramment leur droit, pour se figurer sans effort, cette magnificence passée des bâtisses d’aristocrates déchus, de propriétaires terriens et autres entrepreneurs.
Adda
Dans cette ville de métissage et de cultures, riche et palpablement intellectuelle (elle a incidemment produit le plus grand nombre de Prix Nobel du pays ; l’on en compte six) l’art de converser est aussi une particularité. Car au-delà du brouhaha de la grande cité indienne, de ses vieux bus Tata et de ses milliers de deux roues pétris dans leur estouffade graisseuse et tropicale, les habitants sont connus tout autour du territoire indien pour cette autre spécificité : Adda.
C’est ainsi qu’on la nomme. Un concept, une notion, une énergie même qui pousse les habitants de la ville, au-delà des castes, de l’âge, des opinions politiques, de la religion ou bien des origines, à discourir, penser, échanger. La ville qui fut aussi l’antre des radicalismes politiques Indiens (le communisme s’y est implanté plus longtemps que partout ailleurs, et le nationaliste Subhas Chandra Bose dit Netaji, haute figure politique qui passa l’arme à l’extrême de la droite, y est toujours porté en héro) est encore à ce jour, celle du « débat ». Un exercice qui se pratique partout pour atteindre une quasi-forme d’installation artistique au Indian Coffee House situé au no 15 de la rue Bankim Chatterjee d’où l’on dit qu’il est né !
La gastronomie
Avec un tel brassage d’arts et de cultures, nul besoin d’ajouter combien la gastronomie s’est elle aussi nourrie de la richesse qui lui est offerte. Des influences d’antan ont surgi des spécialités locales qui montrent une fois encore la singularité tant de son sol – une région chaude et humide de bord de mer – que celle de ses influences migratoires prouvant jusque dans ses curries et plats de poisson et fruits de mer, comme le Machher Jhol (curry de poisson), le shukto (sorte de casserole de légumes acidulé) ou bien encore le sandesh (dessert de lait et sucre), l’inextinguible lien de la cuisine avec la société dans laquelle elle nait. Et ici, dans la capitale du Bengale-Occidental, c’est chaud et sucré. Doux-amer et souvent charmé d’épices. Ça secoue souvent, mais finit immanquablement par vous séduire. Un peu finalement à l’image de la ville.
TROIS TABLES
Kewpie’s : un restaurant tout simplement charmant, qui offre une très belle sélection des spécialités du Bengal. Simple et délicieusement efficace.
Bar-B-Q : On y vient pour son côté restau-cantine qui résume en quelques plats élémentaires toutes les influences de la gastro-culture de la région.
The Glenburn Penthouse : nouvellement ouverte aux non-clients de l’hôtel, la table du Glenburn Penthouse est l’adresse parfaite pour découvrir les saveurs du Bengal dans une version méticuleuse et raffinée.
TROIS CAFES
Indian Coffee House : un café qui a réussi avec brio la conversion en une chaîne qui compte aujourd’hui plus de 400 adresses. Respect. L’on y vient tout autant pour ses cafés ou ses dosas que pour son atmosphère digne d’une carte postale d’un autre temps. Et ici plus qu’ailleurs, pour l’adda.
Jimmy’s Kitchen : un classique bengalais-de-la-cuisine-chinoise où la ville tout entière semble venir grignoter à toutes les heures de la journée. Et de la nuit.
Bikers’ Café : ambiance bar de l’apocalypse avec bières et cocktails ainsi qu’un menu riche et régressif plutôt bien exécuté.
TROIS CHOSES A VOIR
Indian Museum : l’un de plus vieux musées au monde est aussi le plus grand musée du pays. Un lieu tout autant de promenade que de culture qui aide à mieux saisir la construction de la république fédérale Indienne.
Birla Mandir : vingt-six années de construction furent nécessaires pour bâtir le Temple Birla de Kolkata. Un lieu consacré à Vishnu, Dieu du temps et de la stabilité du monde. A visiter aux aurores (ouvert à partir de 5.30)
Le marché aux fleurs : plus grand marché aux fleurs d’Asie, le Mallick Ghat affiche aussi 130 années de service où près de 2000 revendeurs se donnent rendez-vous chaque jour. La visite est immanquable et préférablement effectuée très tôt le matin (généralement à partir de 5h).
TROIS CHOSES A FAIRE
Acheter du thé : un exercice pour le moins difficile mais quelques adresses devraient pouvoir aider votre recherche : The Tea Place By Manjushree, Dolly’Teashop ou bien encore, l’incontournable Café du Glenburn Penthouse, la référence « champagne » du thé de première récolte.
Promenade en tram : La West Bengal Transport Corporation vient de mettre en place un forfait journée à acheter auprès du conducteur de votre bus, tram ou ferry pour 100Rs. Un pur plaisir !
Lézarder dans les rues des librairies : direction College Street pour une déambulation littéraire sans fin…