Les touristes en visite sur l’île de Cuba passent inévitablement par la ferme de crocodiles de Boca de Guamà sur la péninsule de Zapata. En l’échange de trois ou quatre dollars : un spectacle et une visite d’une partie du centre de conservation sont proposés aux visiteurs. Sans oublier la possibilité d’acheter quelques souvenirs à la boutique, de se restaurer ou encore de prendre une photo en compagnie d’un saurien local.
Avec plus de deux millions de touristes foulant le sol cubain par an, les recettes ne sont pas négligeables. Mais savent-ils que cet argent contribue en partie à sauver l’espèce ? Que se passent-ils concrètement dans ces enclos où s’entassent des milliers de crocodiles ? La réponse se trouve à quelques mètres, juste derrière cet espace réservé au centre d’attraction. Là, ce sont des scientifiques qui reçoivent dans leur très sérieux centre de recherches. L’objectif : préserver l’emblématique et endémique crocodile de Cuba, considéré comme vulnérable et en danger de disparition.
En danger critique d’extinction
« Le crocodile de Cuba est un des plus menacés », explique Jorge Luis Jiménez Hernandez, directeur du CITMA de la Ciénaga de Zapata, dépendant du ministère de la Science, de la Technologie et de l’environnement. Sa répartition géographique est parmi les plus petites au monde et des phénomènes de différentes natures ont fait chuter ses effectifs estimés aujourd’hui à 3000 individus. Victime de la chasse illégale pour sa chair et sa peau, de la destruction de son habitat, de l’introduction du caïman à lunettes sur l’île de la Jeunesse qui s’est emparé de sa niche écologique ou encore son hybridation avec le crocodile américain mettant en danger la pureté de l’espèce, le Crocodylus rhombifer est classé par l’UICN (International Union for Conservation of Nature), comme « espèce en danger critique d’extinction ». D’où l’idée de le reproduire dans des fermes d’élevage pour d’une part étudier la biologie, la génétique, le comportement… du saurien et mettre en place un programme pour sa réintroduction sur son territoire.
Fidel au secours du saurien
C’est en 1959 que le projet a pris forme, raconte Etiam Pérez, biologiste spécialiste des reptiles, lorsque Fidel Castro a visité le parc et a vu un crocodile attaché. Son idée a été de créer une ferme pour élever en nombre les crocodiles de Cuba pour d’une part préserver l’espèce et enrayer le braconnage. Aujourd’hui, ils sont près de 4000 crocodiles de toutes tailles à nager dans les eaux saumâtres dans les bassins de la ferme de la Laguna del Tesoro. « Tous les animaux qui sont ici, sont nés dans le centre d’élevage, poursuit le scientifique. Les œufs sont enterrés dans des boîtes pleine de terre qui rappelle le milieu naturel, puis conservées dans une chambre à température jusqu’à l’éclosion. Ensuite chaque animal rejoint le groupe avec qui il grandira jusqu’à l’âge adulte. « 40%, soit 400 sur 1000, sont sacrifiés pour la viande, l’artisanat et l’empaillage » poursuit Etiam Pérez conscient que les bêtes tuées sont une source de revenu pour l’état, tout comme les visites guidées de la ferme pour les touristes, mais aide à diminuer le nombre de braconniers qui pour certains travaillent sur le programme de préservation.
Nager le Pacifique
Avec une croissance de 500 à 600 animaux par an, la population augmente et permet d’envisager la réintroduction de l’espèce dans son milieu naturel. « Pour le moment, il n’y a pas vraiment de relâchement, explique Etiam Pérez, car nous devons bien connaître l’environnement naturel du crocodile et la population du centre ». Toutefois, les tentatives d’adaptation réalisées depuis les années 1990 sur l’île de la Jeunesse ont donné des résultats, même si elles ne sont pas trop scientifiques, précise le biologiste. On a malgré tout pu constater que la population restait stable et qu’elle s’adaptait au milieu sauvage. Près 50 années d’expérience et de recherches sur l’animal, n’auront pas suffi pour qu’un relâcher de crocodiles soit sérieusement envisagé. A priori, les autorités n’ont pas l’air pressé de le voir prendre son autonomie. Et on est en droit de se demander si les crocodiles cubains pourront un jour regagner leurs marécages ? Espérons-le !
par Nassera ZAID