Et toujours … l’Egypte ! Promenade le long du Nil, du Caire jusqu’à Louxor
Texte et photos : Fabienne Dupuis
Entre littérature et monde contemporain, Le Caire se découvre encore aujourd’hui au travers d’une abondance de textes qui lui ont offert, au fur et à mesure des siècles, matière à la fascination que la ville opère. Promenade dans la grande capitale égyptienne, entre feu de son histoire et celui de sa révolution, en compagnie de quelques écrivains…
Le Caire, entre littérature et réalité
Véritable source d’inspiration, la ville du Caire enchante depuis la nuit des temps. Des historiens et découvreurs-anthropologues – Hérodote, Jean Thénaud, Giovanni Belzoni- , jusqu’aux écrivains aventuriers et autres romantiques – Lord Byron, Gérard de Nerval, Gustave Flaubert ou Pierre Loti – la destination a été consacrée par des écrits qui n’ont jamais cessé de nourrir notre inconscient européen d’un ailleurs « nouveau » et tellement « exotique ». Un peu plus tard et de façon abondante depuis les années 60, les écrivains égyptiens se sont en masse emparés de leur pays. « L’Egypte écrit, le Liban imprime et l’Irak lit », martèle le vieil adage.
Une maxime qui souligne l’état fort qui contrôle la vie culturelle et oblige plusieurs écrivains à publier leurs écrits de l’étranger. Mais aussi, une réalité géopolitique qui souligne « le rôle prépondérant de Beyrouth dans l’édition arabe, en concurrence constante avec Le Caire, car le Liban est le seul pays arabe à disposer d’un régime parlementaire libéral, permettant une liberté de publication et d’expression inégalée dans la région », explique Franck Mermier, anthropologue et chercheur au CNRS.
Mais qu’importe les sources, sur son sol national ou en dehors de ses frontières, le « pays des deux détroits (traduction de Misr, nom arabe de l’Egypte) fait toujours autant écrire, parler et rêver…
« Donc nous voilà en Égypte, terre des Pharaons, terre des Ptolémées, patrie de Cléopâtre… Qu’en dire ? Que voulez-vous que je vous en écrive ? Je ne fais que revenir à peine du premier étourdissement.
C’est comme si l’on vous jetait tout endormi au beau milieu d’une symphonie de Beethoven, quand les cuivres déchirent l’oreille, que les basses grondent et que les flûtes soupirent. Le détail vous saisit, il vous empoigne, il vous pince et, plus il vous occupe, moins vous saisissez bien l’ensemble ; puis, peu à peu, cela s’harmonise et se place de soi-même avec toutes les exigences de la perspective », écrivait Gustave Flaubert au Docteur Jules Cloquet, le 15 janvier 1850.
Aujourd’hui encore, pour qui découvre la ville, c’est bien son chaos, envahissant, énorme, épais et assourdissant qui enveloppe d’abord. Un chaos qui semble indompté et pourtant trouve son rythme dans un ensemble coordonné aux règles qu’il s’est lui même assignées. En cela, les textes du XIXe siècle, comme baguettes sur un tambour, frappent toujours de leur incroyable pertinence littéraire le monde de ces ruelles bondées,
Un siècle plus tard, c’est à la fresque de la Trilogie du Caire, œuvre incontournable de Naguib Mahfouz, de poursuivre la construction du tableau et de s’enfoncer un peu plus dans les ruelles que protège Bab el Futuh, au sein de la vie de la famille d’Ahmad Abd Al-Jawad : « La rue d’al-Nahhasin n’était pas une rue calme…
La harangue des camelots, le marchandage des clients, les invocations des illuminés de passage, les plaisanteries des chalands s’y fondaient en un concert de voix pointues… Les questions les plus privées en pénétraient les moindres recoins, s’élevaient jusqu’à ses minarets… », écrit Mahfouz. Et au promeneur de se nourrir de cette carte postale mouvante et protéiforme qui construit, à chaque entame de flânerie, l’imaginaire mais aussi la perception du voyageur.
Plus loin, plus tard, sur Talaat Harb, dans le quartier du vieux Caire, les personnages du livre de « L’immeuble Yacoubian » d’Alaa El Aswany sont encore là, comme sortis tout droit des pages de l’écrivain: « C’est dimanche. Rue Soliman-Pacha, les boutiques ont fermé leurs portes, et les bars et les cinémas se remplissent de leurs habitués. La rue sombre et vide, avec ses boutiques closes et ses vieux immeubles de style européen, semble sortir d’un film occidental triste et romantique. » Triste et romantique, la ville du Caire l’est toujours. Incontestablement. Passionnément. Comme dans ces livres qui nous l’ont décrite depuis des siècles, mais peut-être un peu plus encore aujourd’hui. Car les choses ne sont plus tout à fait comme avant.
Pour qui connaît le Caire, l’impression est énorme. Si le souffle de la révolution n’a finalement épargné personne, il a toutefois soulevé cette cloche de verre qui protégeait la vie ici du monde extérieur. Orchestré par une main de fer, tout semblait alors fonctionner, avant, là où chacun connaissait sa tache et surtout les limites qu’il ne devait dépasser. Aujourd’hui, si le tohu-bohu des rues persiste, véritable marqueur de la civilisation cairote, il est aussi recouvert de cette poussière que la cloche, une fois levée, a laissé passer.
Ainsi a été fait le constat de trente années, ou peut-être même plus, d’inaction politique. Et si les choses ne semblent aujourd’hui pas vraiment avoir changé, la ville sait pourtant qu’elle peut aujourd’hui se soulever. Comme en 1948… ou en 2011… Elle sait. Tout le monde le sait. Cette ville couverte des altérations de son propre dépérissement, reste pourtant l’une des plus belles que les bords de la méditerranée n’ait jamais connu et déjà à quelques investisseurs de mettre la main aux porte-monnaie pour redorer les pierres des rues de celle que l’on appelait alors le « Paris du Nil », suite aux grands travaux que le Khédive Ismail Pasha avait entrepris après une visite en 1867 dans la capitale française.
Couverte encore des grains de sa tempête de sable, Le Caire n’est donc pas tout à fait en reste. Et de voir les grands groupes hôteliers reprendre leurs travaux là où ils les avaient laissés avant que la place Tahrir ne s’enflamme. Ainsi, entre les rares vols de voyageurs et la poussière de l’après révolution, l’on découvre de nouvelles adresses qui font la fortune des quelques touristes qui commencent [enfin] à revenir dans cette ville qui n’attend qu’eux : Séquoia, pour une restaurant entre salades et burgers, niché le long des rives de Zamalek, ou Eish & Malh pour une café à l’italienne, dans une déco aussi rafraîchissante que design.
Coté boutiques ce seront Turath, et ses jolis objets de décoration faits main, Caravanserai une autre boutique de décoration aux objets plutôt léchés, la Maison du Caire (à Maadi), refuge de créateurs contemporains, exposés sur tous les étages d’une vieille demeure entièrement restaurée, Alqahira Egyptian Crafted Arts (Zamalek) et sa collection d’objets tendances et le délicieux Sufi (toujours à Zamalek) un café concept entre librairie, brocante, galerie et ateliers d’artistes.
Tout cela et bien plus encore, sans oublier les immuables boutiques d’Abd El-Zaher, sublime artisan relieur (Khan El Khalili), la Shami House, vendeurs de tapis d’exception, Adam Elwan, joaillier stylé et même l’ineffable Café Riche de Talaat Harb, qui continuent de faire sonner avec brio les heures de gloire de la ville du Caire, Al Qahirah, la Conquérante.
Et la littérature dans tout cela ? Comme toujours, guetteur ardent, elle poursuit son œuvre, l’œil toujours plus inquiet, le regard parfois fatigué mais forte d’un « réalisme social », là pour prolonger les constats amers. Et de re-partir à la découverte des rues de ce Caire, avec le Taxi de Khaled Al Khamissy et ses 56 portraits de chauffeurs cairotes, âmes motorisées de la ville, ou encore, avec Les Années de Zeth de Sonallah Ibrahim (l’un des fondateurs du mouvement « Kefaya » (« assez » en arabe)), sans jamais tout à fait oublier de [re]lire, cet Immeuble Yacoubian ou la grande œuvre de Naguib Mahfouz, qui encore aujourd’hui claquent de pertinence et de passion dans ces rues qui n’attendent que leur re-naissance.
Trois hôtels au Caire
Ritz-Carlton – le plus récent
Installé sur la place Tahrir, en plein cœur de la ville, le nouvel hôtel Ritz-Carlton est bien connu des égyptiens. Construit dans les années 60 sous le règne du Président Nasser, il est depuis lors devenu une véritable icône de la ville. Passé aujourd’hui dans les mains du groupe hôtelier américain, ouvert depuis novembre 2015, le grand Hôtel du Nil fait figure de symbole d’une renaissance tant attendue. A l’intérieur, l’hôtel possède 331 chambres et suites spacieuses, toutes élégamment décorées dans un style orientalo-moderne.
En sus, les invités peuvent jouir de dix restaurants et salons (dont le Nox sur le toit, qui offre des vues imprenables sur la ville), de la cuisine orientale jusque vers l’Italie, d’un sublime spa qui longe les bords d’une piscine à la taille olympique. En prime, ce petit plus que l’on trouve dans les meilleurs hôtels du monde, et ce, quel que soit leur nombre d’étoiles, cette envie contagieuse de servir sa clientèle avec plaisir et diligence.
Kempinski – le plus boutique
Situé à quelques mètres seulement de l’ancienne ambassade de Grande-Bretagne, le Kempinski fait figure de « petit hôtel » dans le paysage de ce quartier du centre du Caire. Habité de 137 chambres et 54 Suites, l’hôtel jouit en effet du cosy des petites structures. Bâtiment historique, le lieu a été entièrement restauré durant plusieurs année pour enfin rouvrir ses portes en juin 2010.
Aujourd’hui encore, on y pénètre par son sublime lobby circulaire de marbre, qui rappelle plus celui d’une vieille demeure bourgeoise que celui d’un hôtel. Décoré dans un style « campagne-chic-moderne » où les pastels et bayadères dominent, le Kempinski du Caire propose aussi deux salles de restaurant ainsi qu’une table de snacks en bord d’une piscine, postée sur le toit. Le soir, un Club de Jazz ouvre ses portes pour donner le ton de cet hôtel presque confidentiel, qui n’aime rien de plus, que de le rester.
Sémiramis InterContinental – le délicieux paquebot
Plus q’un simple hôtel de luxe, le Semiramis InterContinental du Caire est un véritable lieu culte : 726 chambres, 68 suites, des boutiques – du barbier en passant par un fleuriste, une galerie d’Art ou une librairie – 12 restaurants, un Spa et une piscine en rez-de-chaussée, le Semiramis est un village dans la ville. Pourtant, malgré sa taille, ce gigantisme, l’hôtel a su conserver la patine de ce qui faisait, il y a encore peu de temps, la réputation des grands hôtels du monde : un service impeccable, mais aussi, des commodités créatives qui portent, malgré les troubles et autres rebondissements, le Semiramis dans le groupe fermé des grands hôtels du Caire. On y vient pour son restaurant italien (Le Pane Vino), sa cuisine libanaise (Le Sabaya) mais aussi pour le charme romantique d’un vieux paquebot (le bâtiment ne date que des années 80 !) devenu légende.
Luxor, ville de splendeurs
On s’y rend en avion ou en train pour les plus aventureux, qui eux ne se lasseront pas de descendre vers la Haute-Egypte au rythme lent (14h !) d’une voiture chaudement bondée. Une fois arrivé, une seule adresse suffit à faire découvrir les environs : Mara House. Un petit hôtel de neuf chambres, savamment organisé par sa propriétaire irlandaise Marie Vaughan, tombée, après sa première visite en Egypte en 2000, sous les charmes incandescents de la destination.
Depuis ce jour, sa passion s’est transformée en un véritable credo et, en 2003, de diriger les travaux de ce qui allait devenir Mara House. Décoré dans le ton traditionnel d’une élégante demeure égyptienne, le petit hôtel respire la passion de Marie Vaughan pour ce grand pays d’Afrique du Nord. Plus encore, c’est au travers de son accueil que l’hôte irlandaise fait montre de son ardeur, organisant jusque dans les moindres détails, le voyage de ses invités.
Louxor, bien entendu mais aussi Assouan et même Le Caire ne semblent pas avoir de secrets pour cette femme qui arpente sans cesse les rues de ces villes pour y dénicher les meilleures adresses, les bonnes tables (autre que la sienne !) et les endroits les plus authentiques.
Jouissant d’une richesse incroyable de sites, Louxor se découvre ainsi entre ses temples, ceux de Karnak et un peu plus loin, l’ahurissante Vallée des Rois, un programme qui ne lasse pas petits et grands, fascinés par le gigantisme de ces constructions à l’origine de l’une des plus grandes civilisations de l’histoire.
Situé à environ 300km de là, Assouan, offre quant à elle, les délices d’une vallée plantée aux pieds de ce Nil si précieux. Chaude, orangée, la ville nubienne offre elle aussi quantité de lieux à voir ou d’expériences à vivre, de son Musée Nubien à la Cathédrale Copte ou la grande Mosquée, du temple d’Isis (VIIe avant JC) de l’île de Philae jusqu’aux temples d’Abou Simbel, à quelques heures de route de là, la région encore et toujours, nous rappelle la brillance de ce grand pays, noble, fier, riche.
Louxor
Shopping Le Caire
Caravanserail.
Sufi, 12 Sayed El Bakry Street, Zamalek, Cairo, Egypt, +20 2 2738 1643
Librairie l’Orientaliste
Eish & Malh, www.facebook.com/eishmalh
Restaurant Sequoia
The Greek Club of Cairo, 28 Mahmoud Bassyouni St. Downtown, Cairo, Egypt. +20 2 2575 0822
Références littéraires
Naguib Mahfouz, La trilogie du Caire, Livre de Poche.
Alaa El Aswani, L’immeuble Yacoubian, Actes Sud.
Gilbert Sinoué, L’égyptienne, La Fille du Caire, Folio.
Hérodote, Les Histoires, Livre de Poche.
Gustave Flaubert, Correspondance, Gallimard.
Khaled Al Khamissy, Taxi, Actes Sud.
Sonallah Ibrahim, Les Années de Zeth, Actes Sud.