Naissance de la Grèce moderne 1675-1919, du 30 septembre 2021 au 7 février 2022
2021 marque un double anniversaire : le bicentenaire des débuts de la guerre de Libération de la Grèce, traditionnellement fixés au 25 mars 1821 et, le même mois de la même année, le 1er mars 1821, l’entrée au Louvre de la Vénus de Milo, découverte un an auparavant, en avril 1820.
Cette coïncidence des calendriers est riche de sens. Elle questionne la place particulière de l’art grec antique dans les collections du Louvre et, au-delà, la vocation singulière de la Grèce dans la constitution de l’identité culturelle de l’Europe et particulièrement de la France.
La renommée et la fascination pour l’antiquité grecque continuent pourtant d’occulter la connaissance de la Grèce moderne, que les Français commencent à redécouvrir à partir du XVIIe siècle, et dont la naissance en tant que nation au XIXe siècle est profondément déterminée par l’essor de l’archéologie scientifique comme par le néoclassicisme français et allemand.
L’exposition met ainsi en évidence les liens culturels, historiques et artistiques noués entre les deux nations, qui ont conduit à la définition de la Grèce moderne.
Commissariat : Marina Lambraki Plaka, Directirce de la Pinacothèque nationale–musée Alexandre Soutsos, Athènes ; Anastasia Lazaridou, Directrice des Musées archéologiques, des Expositions et des Programmes éducatifs au ministère de la Culture et des Sports, Athènes ; Jean-Luc Martinez, Président-directeur honoraire du musée du Louvre, assisté de Débora Guillon.
Paris-Athènes. Naissance de la Grèce moderne 1675-1919 suit un plan chronologique, scandé par huit moments clefs.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les ambassadeurs en route vers la Sublime Porte (gouvernement du sultan de l’Empire ottoman à Constantinople) découvrent en Grèce une province ottomane, qui intéresse vivement les artistes et intellectuels. En 1821, la guerre d’indépendance grecque, soutenue militairement et financièrement par certains pays européens, suscite un enthousiasme populaire. Libérée en 1829, la Grèce proclame Athènes comme capitale en 1834. Influencé par la présence allemande et française sur son territoire, le nouvel État grec construit son identité culturelle moderne en puisant aux sources du néoclassicisme français et allemand.
La défense du patrimoine national grec entraîne une collaboration européenne qui se traduit notamment par la création d’instituts archéologiques, comme l’École Française d’Athènes en 1846, qui sont à l’origine d’un bouleversement des connaissances sur le passé matériel de la Grèce. L’exposition entend pour la première fois croiser cette histoire de l’archéologie avec l’histoire du développement de l’État grec et des arts modernes. Les fouilles de Délos, de Delphes ou de l’Acropole sont à l’origine de la redécouverte d’une Grèce colorée très éloignée des canons du néoclassicisme.
À la fin du XIXe siècle, les grandes Expositions Universelles de Paris en 1878, 1889 et 1900 donnent à voir un nouvel art grec moderne, marqué par la reconnaissance de l’identité byzantine et orthodoxe de la Grèce. L’exposition se conclut avec des œuvres du groupe grec Techni, proche des avant-gardes européennes, qui expose à Paris en 1919.
Catalogue de l’exposition
PARIS-ATHÈNES. Naissance de la Grèce moderne 1675-1919.
Sous la direction de Jean-Luc Martinez, assisté de Débora Guillon.
Coédition : Louvre éditions/ Hazan.
560 illustrations, 504 pages. Format : 24,4 x 28,5 cm.
Prix : 39 € TTC.
Album de l’exposition
48 pages, 50 illustrations. Format : 24,4 x 28, 5 cm.
Prix : 8 € TTC
La Grèce ottomane et la guerre d’indépendance
Les territoires qui forment la Grèce actuelle appartiennent à ce que nous appelons l’Empire byzantin, conquis à partir de 1071 par les Ottomans.
En 1456, Athènes est prise par les Turcs. La tradition chrétienne n’en reste pas moins très présente et la religion orthodoxe centrale pour la culture grecque. L’exposition montre aussi le développement de l’art de l’icône post-byzantine à l’époque moderne dont un rare Gréco prêté pour la première fois à cette occasion.
L’exposition est introduite par l’escale du marquis de Nointel, ambassadeur de Louis XIV auprès de la Sublime Porte à Athènes en 1675. La perception française de la Grèce est alors celle d’une province un peu endormie de l’Empire ottoman.
Le 25 mars 1821 – célèbre aujourd’hui comme fête nationale de la Grèce – l’archevêque Germanos de Patras appelle les Grecs à se soulever contre l’Empire ottoman : c’est le début de la guerre d’Indépendance. Après la libération d’Athènes, du Péloponnèse, de Missolonghi et de Thèbes, l’indépendance est prononcée le 12 janvier 1822. L’Empire ottoman se lance alors dans une guerre acharnée contre la province grecque, dévastant Souli et massacrant les habitants de l’île de Chios. Eugène Delacroix, dans sa toile des Massacres de Chios, représente le drame de cette bataille.
Les artistes romantiques se font également l’écho des batailles de Missolonghi, inspirés par le geste de fierté héroïque des Grecs et l’exemple de Lord Byron, qui, après la forte implication dont témoignent ses écrits, s’est engagé dans l’action militaire et a trouvé la mort en 1824 dans la ville assiégée. Delacroix, très proche du poète anglais sur le plan artistique, lui rend un vibrant hommage avec La Grèce sur les ruines de Missolonghi.
Cette œuvre présentée en 1826 dans la galerie Lebrun à Paris pour l’exposition au profit des Grecs, accomplit la synthèse entre l’antique et le moderne. Cette vision occidentale de la Grèce, liée à un soutien de l’aspiration à l’indépendance et à la liberté qui anime le peuple grec, alimente le philhellénisme européen.
L’indépendance est proclamée le 12 janvier 1822. Les Ottomans y répondent en lançant de violentes offensives. L’intervention des grandes puissances européennes permet la création du nouvel État grec moderne, à partir de 1829, lorsque la Russie déclare la guerre à l’Empire ottoman. Une dynastie européenne est installée au pouvoir. Othon, prince bavarois, monte sur le trône en 1832 et établit sa capitale à Athènes dès 1834. Pour les Grecs, les monuments d’Athènes rappellent leur gloire passée ; pour les Allemands, ils sont un puissant symbole de pouvoir. L’enjeu désormais, pour la Grèce, est de devenir une nation moderne, à l’image de ses voisins européens. Dans cette entreprise, quelle est la place du passé antique, byzantin et ottoman ? Comment l’Allemagne et la France ont-elles contribué à la définition de l’identité grecque ?
L’État grec doit tout réinventer et se forger une identité européenne pour ainsi se démarquer de cinq siècles d’occupation ottomane. Dès lors, il s’agit d’élaborer des canons de la langue, de définir un urbanisme emprunté à Munich. Les photographes occidentaux vont rapidement prendre Athènes et la Grèce comme modèle.
L’archéologie
La discipline archéologique naît véritablement au milieu du XIXe siècle au moment où se développe une approche plus scientifique de la fouille. Auparavant, des agrégés d’histoire ou de lettres classiques étaient envoyés sur place et s’appuyaient essentiellement sur les textes antiques, pour tenter de retrouver les grands sites antiques en se fondant sur les écrits d’Homère ou de Pausanias.
La création de l’École française d’Athènes, en 1846, et par la suite celle des autres instituts archéologiques, encourage le développement de cette véritable discipline scientifique. Les premières fouilles de l’École, en 1870 à Santorin, mettent au jour une histoire inconnue de la Grèce. Dès lors, les archéologues commencent à s’intéresser à des époques plus anciennes que la Grèce que l’on appelle aujourd’hui « classique ». Dans le même temps, à la suite de la guerre d’Indépendance, les autorités grecques mettent en place des mesures protectrices pour les antiques, comme l’interdiction des exportations.
Alors que la Société archéologique d’Athènes est fondée, les grands sites archéologiques sont répartis entre les différents instituts européens installés en Grèce, principalement ceux d’Allemagne et de France. C’est ainsi que le site d’Olympie est confié à l’École allemande à partir de 1875, et que Delphes, et Délos notamment, sont fouillés par les archéologues de l’École française. Ces sites antiques attestent toujours aujourd’hui des liens durables entre les deux pays, car la France continue d’y travailler.
Avec l’arrivée de techniques scientifiques (la photographie qui facilite la documentation, le moulage, les relevés stratigraphiques), la discipline évolue également quant à la réception des découvertes archéologiques, et à la méthodologie adoptée.
Lors de leurs fouilles, les archéologues notent désormais leurs résultats dans des carnets où ils multiplient les schémas et les croquis. De même, la photographie permet de documenter largement les fouilles en informant à la fois sur le contexte de découverte et sur les techniques de fouille employées. Par ailleurs, les nouvelles découvertes circulent et sont connues par le biais de moulages en plâtre qui sont aussi souvent utilisés à des fins d’étude. Pour la première fois, une mosaïque de Délos et des rares bronzes du musée de Delphes évoqueront cette aventure archéologique.
L’exposition proposera la reconstitution de la présentation de l’archéologie française à l’exposition universelle de Paris de 1900.
La couleur dans l’antiquité et la construction de l’identité grecque
À la fin du XVIIe siècle, deux voyageurs anglais, James Stuart et Nicholas Revett, font part de leur surprise : ils ont découvert des traces de polychromie sur des fragments d’architecture grecque. Cette révélation s’oppose au mythe de la blancheur des statues grecques, synonyme de classicisme et de beauté. Au début du siècle suivant, on relève de plus en plus de preuves de polychromie, mais la notion d’un art grec blanc est encore bien ancrée dans les esprits. Peu à peu, on admet toutefois que la sculpture pouvait être peinte, et c’est à la fin du XIXe siècle que l’hypothèse d’une architecture antique polychrome est acceptée sans réserves, comme l’attestent les propositions de restitution de polychromie sur des monuments grecs – notamment le Parthénon – par l’architecte français Benoît Loviot, faites à la demande de l’École des Beaux-Arts.
La dynastie d’artistes suisses Gilliéron, installée en Grèce à partir de 1877, contribue à la diffusion en Europe des découvertes archéologiques. Une fabrique de l’imagerie nationale grecque est ensuite mise en place par Émile Gilliéron avec notamment sa diffusion lors des premiers jeux Olympiques modernes à Athènes en 1896. En reproduisant des images de ces découvertes sur les timbres, les billets de banque, les diplômes ou les affiches, il contribue non seulement à la diffusion des découvertes, mais également à la constitution d’un vocabulaire national moderne.
La redécouverte du passé byzantin
En lutte contre l’Empire ottoman, animés d’une volonté de revendication de leur caractère orthodoxe et byzantin, les Grecs s’attachent, grâce à un travail important d’archives et de relevés, à approfondir la connaissance de leur passé chrétien.
En France, le passé byzantin de la Grèce est longtemps resté dans l’oubli face à la renommée de la période l’antique. Le terme byzantin peut être ambigu, et on lui préfère celui de « grec du bas-Empire ». Les voyageurs en Grèce aux XVIIe, XVIIIe siècles et dans la première moitié du XIXe siècle ne s’attardent pas sur la période byzantine. Il faut attendre les années 1840 pour que se développe un intérêt pour la Grèce byzantine, avec des voyageurs tels que Didron ou Papety (pour qui demeure un certain flou sur les datations des monuments, en réalité parfois postérieurs à la chute de Byzance, après 1453).
Autour de 1900, Gabriel Millet dirige les premières fouilles byzantines françaises. Son intérêt pour la Grèce byzantine le conduit à rassembler sur les monuments, les églises et les objets d’art byzantins une documentation très abondante qui est à l’origine des études sur l’histoire de l’art byzantin en France, avec des supports d’étude équivalents à ceux de l’archéologie antique.
En Grèce, le soutien de l’architecte Lysandros Kaftantzoglou fut fondamental pour la conservation de l’art byzantin. En 1849, immédiatement après la destruction de l’église byzantine du Prophète-Élie au Staropazaro (marché au blé) d’Athènes, il prit soin de faire détacher et transférer à l’École des Beaux-Arts une fresque du milieu du XVe siècle.
L’entrée dans la modernité et la construction d’une identité européenne
L’École des Beaux-Arts d’Athènes ouvre ses portes en 1836, peu de temps après l’installation de la dynastie bavaroise sur le trône grec et le choix d’Athènes comme capitale en 1834. Les échanges entre la Bavière et la Grèce sont constants notamment du point de vue artistique, comme en témoigne la forte influence du néoclassicisme munichois. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, forts des liens politiques et culturels qui unissent les deux pays, Munich reste la référence et le lieu de prédilection des artistes grecs.
Néanmoins, dans la seconde partie du XIXe siècle, le centre artistique européen se déplace de Munich à Paris, et les artistes grecs sont de plus en plus nombreux à aller étudier dans la capitale française.
Les expositions universelles de 1878, 1889 et 1900 marquent tour à tour d’importants moments dans l’évolution de l’identité artistique grecque.
L’Exposition universelle de 1878 voit les artistes grecs s’affirmer sur la scène artistique européenne, peintres et sculpteurs émergent, très souvent comparés à leurs grands ancêtres antiques. La présence grecque à l’Exposition réunit les représentants les plus éminents de l’École de Munich. Si l’on retrouve la tendance classique caractéristique de cette école, on note toutefois que certains d’entre eux commencent à étudier dans d’autres capitales européennes : Bruxelles, mais surtout Paris.
Le pavillon de la Grèce à l’Exposition universelle de 1889 reste très fortement inspiré du vocabulaire antique : un fronton triangulaire, des lignes droites et des caractères grecs anciens entourent une évocation par Léonidas Drossis inspirée de la statue de Minerve par Phidias.
Les artistes grecs sont bien plus présents à l’Exposition de 1900. Les grands noms de la peinture grecque, toujours représentés, sont garants de la tradition mais d’autres artistes, à l’instar de Iakovos Rizos, formés dans les cercles parisiens se distinguent par leur inspiration moderne. Rizos emporte la médaille d’argent à l’Exposition universelle pour Soirée Athénienne : fortement influencé par la légèreté de la Belle Époque parisienne autour de 1900 et notamment par Alexandre Cabanel.
La Grèce de la fin du XIXe et du début du XXe siècle est profondément marquée par de nombreux événements géopolitiques. Les nations européennes imposent en 1878, lors du Congrès de Berlin, des frontières dans les territoires balkaniques, notamment pour contrer la Grande Idée grecque, qui prône la réunion de tous les grecs dans un même État-nation avec pour capitale Constantinople. Ce découpage arbitraire déclenche les guerres balkaniques en 1912 et 1913. La Grèce, ayant perdu des territoires convoités, affaiblie par ces conflits et en plein schisme national avec une rupture entre les partisans du roi Constantin Ier (monarchistes germanophiles) et du premier ministre Venizélos (favorables à la Triple entente), pour des questions d’entrée dans le conflit de la première guerre mondiale ne s’engage que tardivement dans la guerre aux côtés de la Triple Entente. Le roi abdique en 1916 après le coup d’État de Vénizélos, qui fait entrer son pays dans la guerre contre la Bulgarie.
Le traité de Sèvres, signé par les vainqueurs de la Première Guerre mondiale en 1920, partage l’Empire ottoman et cède la Thrace orientale et Smyrne à la Grèce. Mais la guerre gréco-turque de 1919-1922 conduit à une reprise de ces territoires par la Turquie et met fin aux desseins de la « Grande Idée » provoquant la « Grande Catastrophe » du transfert des populations dans des conditions dramatiques.
La Grèce qui sort de ces nombreux conflits est profondément transformée. On observe en parallèle un renouvellement de sa production artistique. Le groupe Techni expose à Paris et impose un nouveau regard sur l’identité artistique grecque : inspirés par l’avant-garde européenne, ils rompent avec la vision stéréotypée que les Parisiens ont de la Grèce et imposent leur art comme pleinement européen.