Formose, alias Taiwan, alias République de Chine, n’est pas cette fabrique bas de gamme au modernisme sans âme. Elle héberge, au contraire, en droite ligne, des traditions et des trésors proprement chinois, qui n’ont eu à souffrir d’aucune Révolution Culturelle.
Comme l’Irlande du Nord est l’Irlande, comme la RDA était l’Allemagne, Taiwan est un morceau de Chine. Chine à part, moderne et préservée. A Taipei, la capitale, le Centre Tchang-Kai-Chek permet de bachoter en une demi-heure une destinée étrange : point de repli en 1949 face aux troupes fanatisées de Mao, Formose devient le refuge, puis l’exil d’un million et demi de partisans du camp nationaliste. Située près de l’aéroport, la modeste tombe de Tchang est peu visitée. On lui préfère le « Centre » où l’on découvre, sous un double toit vernissé en bleu profond, son bureau, sa vie compliquée, ses échecs, ses bonnes idées, avant de monter jusqu’au hall où se tient sa statue, assise, immense, rappel du Lincoln Memorial de Washington.
A ses pieds, une garde d’honneur aux Garand à culasses chromées suit le même rituel robotique qu’au cimetière d’Arlington. Mais ceux qui verront en Taiwan une Chine américanisée vont tout manquer. Sortant d’années de pouvoir fort, le pays est devenu un phare libéral qui attire les jeunes Chinois du « Continent », profitant de l’amélioration des rapports entre Taipei et Pékin. Les privilégiés de Nankin, de Shanghai, de Hong Kong qui peuvent s’offrir l’avion, déboulent dans une Chine qui a réussi, combinant avec astuce confucianisme, bouddhisme, avant-garde nipponne et moeurs mondialisées.
Un peu vexés, ils découvrent aussi les trésors de la Cité Interdite, déménagés ici. Dans un palais qui n’a rien à envier au Louvre, s’étage le plus grand trésor d’antiquités chinoises du monde : stèles de bronze, cloches guerrières, porcelaines naines, ivoires à tiroirs, jades géométriques ou tarabiscotés, estampes délirantes ou pleinement zen… Oui, laissez tomber Tian-An-Men et Pékin : tout est ici !
Taiwan aussi parle mandarin. Avec la prononciation classique et les vieux caractères – pas les simplifiés imposés par Mao -, et une transcription plus logique que l’agaçant « pinyin » qui nous harcèle avec son « Beijing » et son « Mao Zedong » qui, finalement, se prononcent « péking » et « mao-tsé-toung » ! Taipei n’en est pas moins une cité moderne, avec ses bretelles d’autoroutes qui jouent au toboggan, ses ponts crachant sur le vieux marécage où ont poussé les gratte-ciel, à commencer par la tour 101 (le nombre de ses étages) et son demi-kilomètre couleur sucette que l’ascenseur escalade en 38 secondes.
Comme un passé timide levant le doigt sous les buildings, le vieux quartier colle aux rives du fleuve. En partent ruelles et passages intérieurs, comme cette « plus longue maison de Taiwan », qu’on traverse via un marchand de porcelaine, une courette et une maison de thé. On y pèse et y sert ce breuvage ancestral, dont une sorte locale, le oolong, est du niveau des ceylan et darjeeling. C’est par ces voies d’accès multiple que les coolies déchargeaient des jonques, la rue étant la devanture à ce qu’on débardait sur les quais. Les frontons sculptés des maisons art déco vantent des raisons sociales disparues, mais on vend toujours des médecines en bocal, des épices en sac, des confiseries en papier exotique et l’encens sous toutes ses formes.
La vie nocturne à Taipei n’envie rien à Paris. Bien que répartie dans différents quartiers, elle est à son plein à Xi-Men, autour de la Maison Rouge – un marché de 1908 devenu vitrine du design, de la mode et du monde gay. Samedi, à l’heure du coup de feu, les restaus n’ont pas assez de sièges, et la rue, à peine assez de place pour les calligraphes, les pronostiqueurs, les vendeurs de gadgets et les stands des politiciens. Plus que New York, c’est le Japon et la Corée qui dictent les lois de la fringue et de la mèche, l’art de se piercer ou de danser sur du rock nippon et des clips aux airs de hentai.
Moins élitistes, Taipei a aussi ses marchés de nuit, bataille d’effluves de la succulente nourriture taïwanaise, originale et peu chère. Il y a même des puces à Tian-Mou, bric-brac de roublards et de familles nécessiteuses où les fausses antiquités se mêlent aux vraies.
Forcés de fumer l’opium
Dans le nord de Taipei, les côtes avouent toutes les violences de Formose, bordée de gros brise-lames, d’immeubles aux vitres saccagées par les typhons. Les passes profondes sont veillées par des forts, portugais, espagnols, japonais, britanniques, chinois… Les embrasures des canons de Da-Wu-Lun, les sabords de la tour rouge de Santo-Domingo se souviennent des guerres franco-chinoises, pour contrôler le Tonkin, ou forcer la Chine à fumer de l’opium ! L’amiral Courbet vint ici couler la flotte de l’Empire du Milieu, dans les ports de Ki-Lung et Dan-Chui ; et dans leurs cimetières, les fosses communes de nos marins sont toujours là.
La descente vers le sud enjambe d’immenses estuaires, longe des rizières étirant leur ton grenouille. Ji-Yué-Tan, le lac du Soleil et de la Lune doit son nom aux contours de deux plans d’eau – fondus en un seul par un barrage pragmatique. Il est resté le décor vaporeux des photographes de mariage, dédoublant de son miroir une pagode panoramique, des hôtels abracadabrants, et les hordes de dragons vermillon du temple de Wen-Wou.
Les temples taïwanais n’ont rien connu des censures maoïstes de la Révolution culturelle. L’accès en est facile. On se promène à plaisir au milieu des fidèles qui jettent baguettes de bambous et croissants de bois pour connaître leur avenir, les fours gavés de papiers propitiatoires, les statues de toutes tailles saluées par les bâtonnets, les feuilles, les spirales d’encens, vouant un culte à des divinités chinoises auxquelles se mêlent Bouddha, Confucius, écrivains, généraux, juristes – quand ce ne sont pas des champions de base-ball.
Reliefs coloniaux
A Tai-Nan, vous butez sur l’ombre des Hollandais. Dans cette ville dont seuls les canaux et les ponts rappellent Amsterdam, leur légation et leurs entrepôts sont devenus un musée, sur leur fort Provintia s’élève une riche demeure aux toits en pointe, et le Zeelandia et ses escaliers de pyramides mayas, chante les louanges de Koxinga, le maréchal chinois qui rejeta tous ces Bataves à la mer. Les ruelles font doublure aux grands axes, emmêlant ballots et vélos, marteaux de tôliers et crissement rieurs des écailleuses d’huîtres… Certaines rues sont des quartiers alternatifs, rassemblant artisans, galeries d’art et bars de nuits où de jeunes indigènes viennent chanter, en live, leurs chansons d’amour.
Géométrique, construit par un ingénieur français, le dernier fort est un peu à l’écart. Construit contre l’invasion japonaise, il était devenu obsolète lorsque l’armée nippone se présenta enfin. Formose est bourrée de bunkers, souvenir de l’occupant. Le demi-siècle de l’occupation (1895-1945) est une période controversée. A côté du pillage du charbon, du thé et du sucre, l’impérialisme nippon a creusé de vrais ports, lancé des chemins de fer, électrifié les villes, suivis par l’opportuniste caste commerçante locale. Nulle part leur apport n’a été si fort qu’à Kao-Xiong.
Aux portes de la ville s’étend ce charmant lac. Les dieux courroucés, les tigres, les dragons gros et creux comme des attractions de foire s’y tapissent, parmi les nénuphars, épiant les kiosques où les amoureux s’embrassent sous le bouclier d’une ombrelle. Rien à voir avec le reste de la cité. La vue la plus totale est depuis l’hôtel-bureaux qui domine tout. Sa tour, posée sur deux jambes, n’est qu’un rébus : l’idéogramme pour dire « haut » (kao), comme Kao-Xiong. Outre la citadelle et l’ex-consulat britannique traquant le ballet des bacs, vous repérez la gare-musée, coeur de la trame de l’expansion du port. Les locos, venues de Yokohama, sont plantées là, comme les hangars japonais devenus centre culturel de Pier-2. Quant à la promenade jalonnée de happening artistiques et de boutiques branchées, c’est l’ancienne voie ferrée.
Au sud de la ville, la baie intérieure de Da Peng, a vu disparaître tous ses casiers à homards au profit des hydravions… des kamikazes du Soleil Levant. Trois tours ont survécu aux bombardements de l’US Air Force, pour la météo et le guidage des as du manche à balais. Mais l’immense étendue d’eau est devenu un immense parc ornithologique et piscicole, à deux pas de la capitale du thon rouge… et d’un pétaradant circuit automobile ! Comme pour enfoncer le clou des contradictions de cette île de l’inattendu. Et si vous voulez goûter davantage à la nature de la belle Formose, roulez jusqu’à la pointe de Ken-Ting où les animaux, des singes au crabe de terre prennent leurs aises dans une réserve. Malgré les hôtels balnéaires très familiaux, on défend ici des combinaisons uniques de rocs étranges et de collines, comme pour rappeler, après une escapade plutôt citadine, que ce joli morceau de Chine est aussi une immense montagne.
Dominique de La Tour
Taïwan Pratique
Renseignements
www.taiwantourisme.com
Y aller
Seul vol direct Paris-Taipei sur Eva Air (membre de Star Alliance : possibilité de corespondance avec la province)
www.evaair.com
Hôtels
Ta-Yih Landis***** (Tai-Nan ; tainan.landishotelsresorts.com) : 315 chambres et suites, 5 restaurant et 2 bars, salles de réunion, piscine et gymnase. Un hôtel moderne au centre-ville, près du temple de Confucius.
Sky Tower Hotel Splendor**** (Kao-Xiong ; www.85sky-tower.com) : 585 chambres et suites, 8 restaurants, 2 bars, galerie marchande, gylnase et piscine. Intégrée dans le plus grand gratte-ciel (85 étages) de la ville, avec vue sur la rade : une véritable curiosité de Taiwan.