Pour qui aime les expériences double-face, pourquoi ne pas s’offrir ce circuit en fer à cheval entre les deux capitales des deux Irlandes ? Avec la toile de fond des plus belles côtes de l’île, touchez du doigt les méandres d’une inimitié qui commence, timidement, à se résorber.
Si l’on ne se coltine que les frontons grecs et les dômes vert-de-gris, on s’ennuiera ferme à Dublin. Bâtis par l’occupant brit sur le dos rond d’un port viking, les édifices « georgiens » comme Custom Houses (la Douane) ou le Bank of Ireland, ont des relents sexy de redingote et de montre à gousset. On aura plus de joie à parcourir Trinity College, décor gothique à la Harry Potter, dont la bibliothèque expose de gros bouquins aux airs de grimoire. Enluminés au Moyen-Âge, ces parchemins effeuillent le catalogue bizarroïde de l’imaginaire irlandais, échappé du cerveau de moines dont certains avaient croisé des baleines, en route pour évangéliser… le Groenland.
Humour noir et rébellion
A Dublin, le prestige ecclésiastique est resté intact. Chaque sanctuaire n’en a pas moins sa part d’humour, si noir fut-il. Dans la cathédrale, vous verrez la guérite d’où le curé Jonathan Swift – oui, oui, celui de Gulliver ! – déclamait des sermons spirituels aux deux sens du terme, telle cette Adresse à ceux qui dorment pendant la messe. Dans une autre église, ce sera la chaire à confession publique, où les paroissiens ne manquaient pour rien au monde… pour se régaler du croustillant péché des autres ! Métaphore de la vanité des choses, l’église du Christ présente les squelettes d’un chat et d’un rat, morts coincés dans le tuyau d’orgue où ils se coursaient comme dans un Tom et Jerry. Plus macabre encore, la crypte de Saint-Michan aligne les momies de chevaliers croisés – en réalité, des cadavres du XIXe siècle, conservés par quelque caprice hygrométrique de la terre.
En parlant de croisés, on vous dira sans doute que Temple Bar, l’ancien quartier des abbayes, tire son nom des templiers qui logeaient ici, sur les rives noires de la Liffey. Plus prosaïquement, Temple n’était que le propriétaire de ce pâté de maisons décaties, revivifié par U2. Le groupe rock a investi dans la pierre d’ici les royalties qu’il n’a pas placées dans les paradis fiscaux ! Cela a injecté une pinte de jeunesse dans ces quelques rues, qui ont fini par aspirer toute la faune touristique. Piquées au vif, les anciennes rues en vogue sont devenues piétonnières, où les beautés africaines et les anorexiques au look gothic côtoient la crieuse de fraise et le coureur de fond – de chopines.
Si Dublin est bien la ville des pubs, il ne faut pas la limiter à cet assommant cliché. La capitale de l’Eire est plus une ville de surprises et d’atmosphères, surtout quand le soda bread (le pain au bicarbonate) et les derniers poêles à tourbe distillent leurs parfums inimitables dans les impasses. Vous comprenez alors pourquoi, un jour de Pâques 1916, des patriotes ont pris les armes pour se retrancher dans la Poste centrale, espérant se débarrasser de la mainmise de Londres. Leur terminus fut à Kilmainham, banlieue écartée où se dresse la plus célèbre prison d’Irlande. On y fusilla les rebelles ; mais leur exemple irait secouer la conscience populaire : après cinq ans de harcèlement de la part de l’Ira, la Grande-Bretagne se retirait, laissant derrière elle une République indépendante.
Conduis-moi jusqu’à Sligo
Quittant Dublin, vous faites route vers le nord-ouest. Vous suivez l’A6, perçant les monts des Sperry, pui longeant les lacs. Jadis rôdaient ici des géants. L’un d’eux fauchait les champs des paysans – jusqu’à ce qu’ils aient l’idée de piquer des tiges de fer parmi les tiges de blé… Métaphore de l’ogre anglais qui, pendant la terrible famine de 1845, avait encore la cruauté d’importer des pommes de terre ? Le tiers de l’Irlande prit le chemin de Amérique, l’autre tiers, celui de la tombe.
Vous atteignez le Sligo. Moins connu que le Kerry, le comté est envié pour ses dolmens et menhir, tels Carrowkeel, Carrowmore et Knocknarea – à découvrir avec un GPS et de bons amortisseurs. Sous le mont ventru de Benbulben se cache aussi le lac de Lough Gill, avec ses mille petits îlets qui sont autant de rêves de pêcheurs. Sligo même campe sur les deux berges de la Garavogue. De l’une à l’autre, passerelles de fonte ou ponts de pierre font la navette sous les houspillages des mouettes. Douillettement provinciale, la ville se cherche, entre églises fermées et hôtels tout en vitres, pubs sans âge et bâtisses mutées par le pop’art.
Barbour on the harbour
Les premiers charmes des côtes sont proches. A la pointe de Mulaghmore, vous affrontez les rouleaux et les vents porteurs d’écumes moussues qui couvrent le pare-brise. Quittant le comté de Sligo, vous entrez dans celui de Donegal. Sur les portions planes de cette même côte, les maléfices d’Eole dotent le port de Bundoran de rouleaux assez replets pour que des surfers y aient posé leur planche – telle cette Australienne qui, quand la mer est trop plate, vend écharpes et Barbours aux touristes de passage.
Donegal elle-même est une ville modeste, dont la timidité maladive va jusqu’à cacher sous les arbres son castel médiéval. Letterkenny cueille davantage la halte du touriste, et du coup, la cité est devenue la plus peuplée. Les fleurons du Donegal sont ses côtes. A commencer par les plus hautes falaises d’Europe de la Slieve League. Couvrez bien les oreilles contre le vent impitoyable, qui brasse le chaudron d’eau en contrebas – et tente d’y jeter les moutons comme de vulgaires navets. Longeant imprudemment les falaises, les bêtes à tête noire marqués de taches fluo rappellent que c’est d’ici qu’est tissé le tweed, avec ces motifs à chevrons qu’on a retrouvé sur les habits des autochtones, tirés intacts des tourbières maléfiques, où ils s’étaient endormis 3000 ans plus tôt. Les couleurs se sont un peu enhardies, au profit du vert grenouille et du rouge pétard, mais le travail est toujours exécuté sur de vrais métiers manuels, qui crachent les roulements et claquements boisés d’un bowling.
Le passage de la livre
A l’extrême nord, la péninsule d’Inishowen s’étale sur les eaux miroitantes, avec les plis réguliers et puissants d’une onde de choc. Toutes fines, les lames glissent sur le sable comme celle d’un rasoir. La mer n’est pas tendre. A intervalle régulier, vacille la croix d’un mort que la mer a dégluti sur les galets dorés, de petites guérites abritent les dispositifs de sauvetage : « A stolen buoy is a stolen life », annonce sentencieusement le mode d’emploi – « Bouée volée, vie volée ».
Comme le long de notre très bretonne côte de Granit Rose, l’autochtone a souvent construit de ces maisons blanches sans grand intérêt, avec leurs baies vitrées, leurs balcons, copiés sur Dieu sait quelle villa de Malibu ou du cap Ferrat… A côté, délaissée au temps où ces prés ne valaient que tracas, la vieille demeure des ancêtres, déserte, s’écroule lentement au rythme du ruminement des ovins.
A l’extrémité d’Inishowen, entrant dans l’eau comme du bout de l’orteil, s’avance Malin Head. C’est le Cap Nord de l’Irlande, particulièrement sauvage. Quand vous redescendrez vers le sud, la monnaie aura changé : les euros sont encore acceptés, et de loin en loin, de moins en moins. Dans son intitulé, la reine Elizabeth reste « queen of Ireland », même si elle ne règne plus que sur les six comtés du nord-est. Dans le clinquant des inscriptions à la gloire de Guillaume d’Orange (rien à voir avec la téléphonie : c’est un monarque anglais du XVIIe siècle), triomphe la livre Sterling. Depuis la paix conclue avec l’ira, en 1998, c’est presque la seule frontière apparente. Vous n’en êtes pas moins passé d’une jeune république de 90 ans, à une monarchie plus que millénaire.
Un peu à l’intérieur des terres se dresse Londonderry – Derry, pour les catholiques, qui n’aime pas trop le rappel de la capitale anglaise ! Les remparts, les rares à être complets dans l’Union Européenne, résistèrent à des sièges héroïques. En 1688, des apprentis artisans se saisirent des clés et fermèrent les portes à la barbe de l’armée, qui comptait assurer la fidélité de la ville au roi catholique Jacques II. Favorable à Guillaume d’Orange – le nouveau roi protestant -, la ville dut subir les assauts des papistes et de leurs alliés Français. Depuis, cela chauffe entre les tenants des deux religions. Le pire survint un sale dimanche de 1972 : quand des parachutistes brits tirèrent à balles réelles sur une manif catholique en faveur du suffrage universel, 14 morts donnèrent un nom à ce Bloody Sunday.
Le dernier cri du basalte
A l’est de Derry, la côte d’Antrim fait suite, taillé comme à la faux dans le basalte. Comme un acteur shakespearien en costume de scène, vous faites votre entrée dans un décor épique, moins beau sous un soleil radieux que quand la lumière triomphe des paquets de mers et des suées d’embruns. Le clou de ces paysages mythiques, c’est la Chaussée des Géants. La légende chuchote que c’est en fait le cyclope du cru qui entreprit de construire ce gué aux dalles hexagonales pour aller casser la tête d’un rival écossais. Cette manie qu’ont les irlandais de régler leurs inimitiés à coups de géants ! Car la chaussée est née il y a 60 millions d’années, d’un chaud et froid avec la mer d’Irlande mutait en 40 000 colonnes octogonales le basalte en fusion. On imagine le bruit à l’époque, un peu le « cri » métallique d’un homard qu’on ébouillante.
Non loin de là, la ruine médiévale de Dunluce est une attraction qu’il faut goûter au plus vite, en sursis sur sa falaise de craie suçotée par les vagues. Plus au sud, il y a encore Carrick-a-Rede : sous les quolibets des mouettes, on accède à l’îlet par un pont de cordes, qui ballotte comme un soutien-gorge au dessus des flots. Par grand vent, la traversée est interdite : un expert accourt avec son anémomètre dès qu’il y a doute.
Belfast sans Boney M
Au centre de cette région, Belfast. Une ville curieuse dopée par la vie estudiantine et les low costs. La capitale de l’Irlande du Nord se visite d’abord par Donegal Square, la place dont le nom rappelle les liens avec l’autre partie de l’île – sauf que les colonnes et les frontons victorien de l’hôtel de ville, et une copie en plus petit de la tour de Westminster rappelle qu’ici, on est aux ordres de Londres.
Symbole d’une économie rabaissée par l’économie internationale, le port conserve quelques entrepôts de grès rose. Les chantiers navals ne brandissent guère plus que l’honneur douteux d’avoir construit le Titanic. Mais les deux portiques jaunes qui permettent des opérations sur les bateaux qu’on ne peut faire nulle part ailleurs, rappellent que les dés ne sont jamais jetés. Aujourd’hui, des sculptures audacieuses et des illuminations bleutées des quais et des ponts claironnent qu’il faut vivre avec son temps. Les Londoniens viennent de plus en plus nombreux pour s’amuser, trouvant cette demi-capitale plus branchée que la leur – que Belfast l’a devancée pour célébrer le premier mariage homo du royaume-Uni !
Il faut tout de même faire le tour de la ville classique, avec le très kitsch opéra, la cathédrale Sainte-Anne ou la lanterne de briques de Queen’s University, avant de se faire shangayer par un Black Taxi. Initiative passionnante : au volant, d’anciens prisonniers ou des membres repentis de l’Ira vous font visiter les quartiers des affrontements avec les « Brits » : Shankill, fief des protestants, et le bastion catholique de Falls – chacun avec leurs peintures murales présentant une version des faits. Les barrières, mentales, mais aussi techniques existent toujours, prêtes à se refermer sur la moindre tension inter-communautaire. Mais dans la prison de Long Kesh-The Maze, où le jeuen bobby Sands se laissa mourir de faim, et où souffrirent des prisonniers des deux bords. Un peu partout, les projets intercommunautaires fleurissent. Un compromis a été trouvé entre les ennemis d’hier, mortels au sens propre – et sale. Désormais, ils siègent presque côte à côte au Parlement de Stormont, en banlieue belfastine.
Dominique de La Tour
Contact:
Bord Failte (OT irlandais), 33, rue de Miromesnil, 75 008, Paris. Tél. : 01 70 20 00 20 ; www.discoverireland.com
Stauntons On The Green
Un guesthouse de charme, presque une chambre d’hôtes, et un petit dej excellent.
Saint Stephen Green 83, Dublin, www.thecastlehotelgroup.com/StauntonsontheGreen.
The Glasshouse Hotel
Idéal par sa position centrale, surplombant la rivière Garavogue, sa déco vivifiante et son restaurant gastronomique. En étape d’une ou deux nuits. Personnel jeune et efficace.
Swan Point, Sligo, www.theglasshouse.ie
Castle Grove Country House
A 5 km de Letterkeny, un sobre manoir géorgien avec mobilier d’époque et cheminées.Dans un parc avec son lac, et à quelques kilomètres d’un golf, doté de 7 parcours. Gastronomie est exceptionnelle.
Ballymaleel, 5 km de Letterkeny , www.castlegrove.com
Da Vinci’s Hotel
Un hôtel confortable et bien placé entre ville nouvelle et cité ancienne.
15 Culmore Road, Derry, www.davincishotel.com
Malone Lodge Hotel, Appartments & Suites
Un peu excentré dans le quartier de l’université, à 5 mn du centre en voiture, un hôtel confortable et chaleureux et au calme.
Robert Kassous à été le responsable Tourisme à l’Obs pendant près de 20 ans. Photographe, reporter, il a créé et dirigé le Magazine Week-end du Nouvel Observateur. Après un passage d’un an chez Challenges et Sciences et Avenir, il se consacre désormais à son site Infotravel.fr dont il assure le développement grâce à sa formation à Sciences PO Paris Master 2 en Management des Médias et du Numérique.
Il collabore en tant que pigiste à différents magazines print ou web nationaux. Passionné de Voyages et de rencontres, il a créé et animé les déjeuners Tourisme de l'Obs pendant plus de 10 ans qui recevaient, ministres, ambassadeurs offices de Tourisme, tours opérateurs et institutionnels. Il est régulièrement l’invité de grands médias français pour son expertise de plus de 30 ans,sur le tourisme, LCI, Soir3, Europe 1, France Info TV, AFP etc.
Administrateur du PressClub depuis 2011, il est également depuis 2021, le Vice-Président de L'union de la Presse Francophone et donne à ce titre conférences et cours de journalisme à destination des pays concernés.
Avec le Sociologue Guillaume Demuth, il anime des conférences en entreprises ou sur des salons comme le Salon Mondial du Tourisme dont son site Infotravel est partenaire officiel, L'IFTM ou encore la Foire de Paris, etc . L'idée étant de comprendre et anticiper les différents changements de comportement des touristes, connaître l’impact des nouvelles technologies, des changements climatiques et de leurs applications et implications dans le monde du Tourisme. Robert est membre de l’Association des Journalistes de Tourisme (AJT) depuis plus de 15 ans. En créant le site Infotravel.fr, il permet au grand public d'avoir, chaque jour, des articles d'inspirations et des bons plans pour voyager informé. Bon voyage !
Quel beau pays ! J’y suis allé il y a 3 ans pendant deux semaines et cela reste un de mes plus beaux voyages. Pourtant, je vois das cte article que je n’ai pas tout vu. Merci bien, à cause de vous je vais devoir y retourner.
Ayant des origines irlandaises, je suis amené à y retourner régulièrement et je peux vous assurer que je ne m’en lasse pas!
Votre article me ramène à ce pays, superbe!
Quel beau pays ! J’y suis allé il y a 3 ans pendant deux semaines et cela reste un de mes plus beaux voyages. Pourtant, je vois das cte article que je n’ai pas tout vu. Merci bien, à cause de vous je vais devoir y retourner.
Bonjour à tous.
Ayant des origines irlandaises, je suis amené à y retourner régulièrement et je peux vous assurer que je ne m’en lasse pas!
Votre article me ramène à ce pays, superbe!
Bernard J.
Dublin est une ville magnifique, si vous avez l’occasion foncez-y !
Les experts d’Info Travel auront peut-être des bon plans à nous conseiller ?
Article très intéressant, il donne envie d’y aller…
Belfast, Dublin, Sligo, Inishowen, il y en a de beaux endroits à visiter…