Ce 2 mars, à 11 h, il faut être sans délai au Grau du Roi, dans cette « Petite Camargue » des taureaux et des chevaux. Vous y assisterez à l’Abrivado des plages – tradition liée au fonctionnement des arènes, bombardée fête locale.
Portable au poing, bride au doigt, notre homme supervise tout depuis son cheval blanc : lasso à la selle ou coupant l’air, dix gardians et gardianes caracolent pour lui, canalisant les taureaux en piquant du trident. Jean-Claude Groul est manadier. Sous sa cocarde orange-blanc-vert, ses 250 ha hébergent 180 têtes. C’est pour le sport « national » du cru : la course camarguaise, parfois nommée « course à la cocarde » ou « course de vachettes ».
Concentrés, élancés, taciturnes, ceux qui s’y adonnent sont les « raseteurs ». Le jeu est physique. Mental aussi. Ils doivent approcher un animal nerveux, et en dépit de son humeur massacrante, arracher avec un « crouchet » les tresses de laine liées entre ses cornes. La seule arme ? De bonnes jambes. Un art de fuir… avec bravoure. Pas de mise à mort : les champions finiront leurs jours dans leur pré, ne jouant de leur virilité que pour s’assurer une descendance. Mais les moins bons passeront au statut de bête de course à celui de bête de bouche. Statut prestigieux, somme toute : pauvre en gras, le taureau camarguais est la plus saine des viandes, et son appellation fut protégée avant même sa rivale charolaise !
Le « V » de la captivité
Les haleines pâles des bovins se mêlent à la poussière du matin. Jean-Claude hâte le rassemblement : il faut sélectionner les vedettes pour l’épreuve, à 11 h. Pas une course camarguaise, mais l’abrivado. Le mot vient du provençal « abrivar », « rendre plus bref » – sous-entendu, presser l’animal pendant son transfert. A l’origine, l’abrivado désigne le trajet du « tau » (taureau) entre son corral et l’arène. Mais aujourd’hui, les bovins embourgeoisés voyagent en camion. Une fois l’an, cependant, on les lâche, afin que les gardians gardent la main – et leur esprit d’équipe – en escortant le fauve au galop, coincé dans un « V » que forment les cavaliers et leur monture.
C’est donc ça, l’abrivado. En bout de plage, presque au secret, des camions déchargent. Bêtes à cornes et à sabots en jaillissent ; tous venus des manades alentours ; celle de Jean-Claude, aussi de plus loin. Il y a quelques années, un accident au Grau-du-Roi avait poussé à limiter les risques. Depuis, l’abrivado s’exile sur le rivage. Dès l’aube, des barrières d’acier galvanisé fermaient les accès. Comme des bornes vertes, les packs de bière ont pris place dans le sable meuble. Nul ne doit passer, et c’est 7000 curieux qui doivent rester derrière, tassés sur les murets ou les camionnettes. Du moins, c’est ce que dit l’arrêté du maire ; sous cape, on espère bien que des perturbateurs viendront arracher le taureau à ses surveillants !
Les premiers chevaux blancs débouchent, leur prisonnier noir à peine visible dans ce front de muscles et de crin qui semble un char évadé de Ben Hur. Au milieu, les cornes sciées et tenues par deux noeuds coulants, le taurillon est là, nerveux, l’oeil rogue. Les équipes se succèdent. Et chaque fois, capuche rabattue, portant des sweat shirts « Fripouilles » ou « Mafiosos », les « mauvais garçons » s’élancent avec pour mission d’accomplir « le bordel 2013 ». Le festival « off » de l’abrivado.
Les uns tentent de renverser la bête en tirant les cornes, les autres de la tenir en arrière pour qu’elle s’échappe et donne des suées au badaud trop curieux. Peu de tentatives réussissent, à vrai dire. Parfois, des « hou ! » se font entendre : la foule vocifère contre une équipe de gardians qui triche : elle rase la mer, ce qui facilite le guidage et rend plus ardues les attaques des hooligans !
A l’autre extrémité de la plage, les camions attendent, layon baissé et portes grandes ouvertes. Dans un bruit de benne, chaque monstre noir, enfin négligé par son encombrante escorte, vient se serrer contre ses congénères, eux aussi impatients de regagner leur pré. Déjà on desselle les chevaux. Sur le port, la musique nasille. Les grillades bleuissent l’air. Les bars se remplissent jusqu’à la gueule dans le tintement des verres. Dans les claquements de portière, l’abrivado prend fin.
Dominique de La Tour
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