De son arrivée à l’aérogare jusqu’à l’embarquement, le passager aérien subit malgré lui un processus de conditionnement mental. Celui-ci est destiné à transformer l’habitant de la Cité en un passager aérien, à le préparer au vol et à lui faire accepter d’être pris totalement en charge par le personnel de bord.
L’aérogare est le lieu intermédiaire où l’on accepte le passage entre deux mondes très différents : celui de la vie sur terre défini par les limites imposées à la nature humaine et par les normes sociales et celui de la vie ascensionnelle défini par la disparition de ces limites. L’aérogare est l’adaptateur qui permet de passer d’un monde à deux dimensions à un monde à trois dimensions.
Le futur passager perçoit et utilise l’aérogare moins comme un banal moyen d’accès à l’avion que comme un lieu transitoire où il ressent des émotions irrationnelles intenses sans rapport direct avec l’environnement réel. Ces émotions sont induites par l’idée d’ascension. La capacité de monter dans les airs -l’ascension- prend valeur de conquête.
Quatre sentiments contradictoires envahissent le champ de la conscience du passager aérien.
Exaltation
Elle naît de la perception de la puissance de l’homme pour avoir su conquérir le ciel, dépasser les limites habituelles bidimensionnelles pour atteindre un univers en trois dimensions, celui du lieu de transit des anges. Ce sentiment est vite débordé par celui plus intense de la toute puissance de l’homme capable d’abolir les limites spatio-temporelles et sociales. L’image de l’avion est spontanément reliée à la possibilité matérielle d’atteindre tous les lointains, de rapprocher l’inaccessible. Elle n’est pas fondée uniquement sur le concept de vitesse pure mais sur le gain de temps et la contraction de l’espace. L’avion suggère une évasion totale que n’offre aucun autre moyen de transport. L’évasion totale se confond alors avec la transformation de soi : coupure avec la personnalité habituelle. L’avion représente un départ vers l’illimité.
Sur-valorisation sociale
Le prix du billet induit un sentiment de puissance sociale, d’accès à la classe sociale supérieure, à la « jet set ». Les compagnies s’appuient sur ce sentiment : « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ». L’architecture somptueuse de ces cathédrales des temps modernes, l’emploi de matériaux de prix (marbre, mosaïque, verrières élancées….) les boutiques de luxe des zones « duty free », les facilités encore rares (wifi…), les campagnes publicitaires sur le ton « Notre plus belle destination c’est vous », tous éléments concourant à flatter l’ego du passager.
Anxiété et appréhension
Les enquêtes d’opinion effectuées à la demande des compagnies aériennes révèlent qu’un passager sur quatre reconnaît avoir peur en avion. Ce qui représente pour un gros porteur une centaine de personnes. Et chacune d’entre elles s’imagine être la seule atteinte.
– L’anxiété -état psychique s’accompagnant d’excitation ou au contraire d’inhibition et comportant une sensation de constriction de la gorge- naît de la transgression d’un interdit (Icare), « voler n’est pas naturel ». Mais également de l’impuissance en cas d’accident, avec la perception de sa réelle dimension dans l’univers. Les salves d’applaudissent qui explosent en cabine, surtout sur les vols charters, juste après l’atterrissage en sont la meilleure illustration. Ce n’est pas l’habileté du pilote qui est là saluée mais le fait que l’on soit revenu entier sur terre.
– L’appréhension résulte de l’obligation de s’abandonner à la technique, à la machine, à des forces, à des personnes que l’on ne contrôle pas. C’est l’affaire d’un animateur télé célèbre qui n’a prise sur rien en avion, contrairement à son quotidien au sol, et qui ne le supporte pas. Quel que soit son statut social, on est pieds et poings liés, à la merci d’un accident mécanique, d’une défaillance des pilotes ou d’un événement extérieur.
Trois types de comportement
Excitabilité anxieuse
Peur de rater son avion, quête incessante d’informations… Ou attitudes d’agressivité et d’exaspération à l’égard du personnel. Avec l’interdiction de fumer, la cigarette ne calme plus la tension interne. L’automédication par l’alcool, gratuit à bord, par la recherche de son effet anxiolytique sert à corriger l’état de mal-être. L’abus sera responsable d’ivresse aiguë avec son cortège habituel de troubles de comportement, de propos agressifs et insultants à la bagarre généralisée en cabine.
Comportement régressif
Soumission à l’autorité du personnel de l’aérogare ou de bord et recherche de sa protection affective et maternelle.
Comportement autonome
Le passager autonome ne ressent pas ce sentiment de transformation de soi. Il parvient à se servir de l’aéroport et de l’avion comme d’un simple moyen utilitaire. Le confort, le service attentif lui permettent d’être à l’aise sans avoir le sentiment d’être brutalisé par le voyage aérien. Au lieu d’être valorisé par le phénomène de l’ascension, ce passager cherche à se valoriser par l’attitude du personnel et la disponibilité de la technique à son égard. En achetant son billet il croit avoir acheté les personnels de l’aérogare et de l’avion. Ce comportement, s’il s’exacerbe, peut tourner à celui d’un enfant gâté, surtout en première classe ou en classe affaire. Sur-adapté, habitué à être obéi, il supporte mal les remarques du personnel. Socialement puissant et irrité par les contraintes, il juge pouvoir transgresser les règles.
A l’aérogare d’arrivée
Le passager ressent peu d’intérêt pour l’arrivée. Il veut rapidement prendre ses distances avec le vol, l’effacer. La fin du vol se caractérise par le soulagement de retrouver l’univers à deux dimensions et la proximité de sa destination. Il est intolérant aux attentes (formalités, récupération bagages…).
A cette minute même 6000 avions sont en vol autour du globe et transportent près de 500.000 personnes !
Dr. Philippe Bargain, ADP – Roissy – CDG