Versailles : quand pâlit l’astre du Roi soleil
Alors, cocorico ? Pas vraiment. Si les touristes sont bien de retour, ces derniers pourraient néanmoins, au cours de leurs pérégrinations, être surpris d’apprendre que plusieurs de leurs destinations favorites et, pour certaines, symboliques du tourisme tricolore, sont menacées. Ainsi du plus emblématique des châteaux français : Versailles. Véritable caricature du tourisme de masse, avec ses queues interminables et ses autobus crachant à flux continu des hordes de visiteurs jetlagués, le palais de Louis XIV est ainsi arpenté, chaque année, par quelque 4,5 millions de curieux venus du monde entier — loin des 3 000 courtisans et domestiques que le château était, originellement, supposé pouvoir supporter par ses concepteurs et bâtisseurs.
Poussières qui s’infiltrent dans le moindre recoin, piétinement constant des galeries, dégradations en tout genre… : les dommages que subit Versailles se chiffrent en millions d’euros, que les seuls subsides de l’État ne suffisent plus à couvrir. Le domaine multiplie donc les initiatives, évènements artistiques et autres privatisations pour de riches mécènes afin de boucler son budget. Or, confie un spécialiste du château au magazine Causeur, « les programmes de mise en valeur susceptibles de faire venir davantage de monde créent également le problème de la sur-visitation et des dégradations très coûteuses qui en découlent, dont on essaie de financer les réparations… en attirant toujours plus de visiteurs. C’est le serpent qui se mord la queue ».
Les Baux-de-Provence : un des « plus beaux villages de France » au bord de la faillite
D’autres gestionnaires du patrimoine touristique français, eux, se mordent les doigts. Ainsi des vingt-deux habitants des Baux-de-Provence, village de carte postale du sud de la France dont les rues escarpées attirent, chaque année, pas moins de 1,5 million de visiteurs. En dépit de cette manne touristique, la commune se retrouve en situation difficile. La faute à un conflit qui oppose, depuis plus de dix ans, la municipalité provençale à son ancien prestataire, Cathédrale d’images, qui exploitait jusqu’en 2011 les carrières voisines des Bringasses et des Grands Fonds, dont le cadre accueillait un spectacle audiovisuel. Estimant que la société, aujourd’hui dirigée par Jean Montaldo, avait fait réaliser des aménagements sans son accord, le maire de l’époque, Gérard Jouve, avait résilié le bail la liant à sa commune et lancé un appel d’offres public, remporté par une filiale d’Engie. Une décision que n’a depuis de cesse de contester Cathédrale d’images, qui multiplie les procédures contre Les Baux-de-Provence et son nouveau prestataire.
Non sans un certain succès : en 2018, le Conseil d’Etat a condamné la petite commune à verser 5,8 millions d’euros de dommages et intérêts à la société, dont un quart (1,45 million) à effet immédiat. Une ardoise disproportionnée, impossible à régler pour les habitants du village, dont le budget — annuel ! — ne dépasse pas 3 millions d’euros.
« Cette décision est excessive sur le fond comme sur la forme », critiquait alors le nouveau maire, Michel Fenard, qui mettait notamment en avant l’absence de contre-expertise évaluant les pertes supposées de Cathédrale d’images à la suite de la rupture de son bail. Demandant, à tout le moins, un étalement de sa dette, la commune s’est vu imposer un nouveau revers par le tribunal de Tarascon qui, en novembre 2020, l’a déboutée tout en la plongeant, elle et ses habitants, dans une inextricable situation financière. Heureusement pour la commune, l’amende record de 5 8 millions d’euros vient tout juste d’être cassée par la Cour de cassation, qui a renvoyé l’affaire devant un autre tribunal. Celle-ci ne risquant désormais « qu’une » amende de 2 millions d’euros maximum. En attendant cette nouvelle décision, l’un des « plus beaux villages de France » retient son souffle.
Mont Blanc : « dans dix ans, c’est mort »
S’il ne risque pas la ruine financière, un autre site exceptionnel du paysage français fait, lui aussi, face à une menace existentielle : le mont Blanc. Victime du changement climatique comme du sur-tourisme, le plus haut sommet de l’Hexagone voit ses glaciers fondre… comme neige au soleil, ce qui ne l’empêche en rien d’être pris d’assaut par des dizaines de milliers d’alpinistes en herbe, dont la motivation, pour obtenir un selfie instagramable semble inversement proportionnelle au respect qu’ils portent à cet environnement aussi unique que fragile. « Dans dix ans, c’est mort », tranche un local dans Telerama : « entre les tours-opérateurs qui vendent l’ascension comme un tour de gondole à Venise, les entreprises qui offrent un “’mont Blanc en quarante-huit heures chrono”’ à leurs employés, l’inconscience des uns et le cynisme des autres, auquel il faut évidemment ajouter les effets du réchauffement climatique, je ne donne pas cher des futures ascensions ». À ce rythme, la « douce France » de Charles Trenet ne sera bientôt plus qu’une carte postale en noir et blanc.