Les Cinque Terre. pâle et recueilli auprès d’un brûlant mur d’enclos écouter parmi les ronces et les broussailles envols claquants de merles, bruissements de serpents. Dans les craquelures du sol ou sur le vesceron épier les files de fourmis rousses qui se brisent et tantôt s’entrelacent au sommet de minuscules meules.Observer dans les feuillages la palpitation lointaine des écailles de mer tandis que des pics chauves s’élèvent de tremblants grésillements de cigales. Et, marchant au soleil qui aveugle, sentir, triste merveille, combien sont toute la vie et ses peines dans le cheminement d’une muraille qui porte tout en haut des tessons de bouteille…
Eugenio Montale, « S’assoupir, pâle et recueilli », dans Os de Seiche (1925) traduction de Patrice Angelini, Gallimard 1966
C’est ainsi qu’Eugenio Montale, prix Nobel de la littérature en 1975, évoque les paysages des Cinque Terre – situées sur la côte orientale de la Ligurie, entre Punta Mesco et Punta Monte Nero.
Avant lui, Dante, Boccace, ou encore Telemaco Signorini, peintre précurseur du mouvement des « Macchiaioli », se penchèrent sur l’époustouflante beauté naturelle de ces lieux, inscrits au Patrimoine Mondial de l’Unesco depuis 1997 et, aujourd’hui, parc naturel protégé.
Á la fois abrupts et florissants, hautains et généreux, les territoires des Cinque Terre se dessinent entre la mer et les collines parallèles au littoral: ici, tout au long de 18 Km, une végétation luxuriante et prospère semble vouloir plonger dans la mer, séduite par le chant spumescent des vagues et par la douceur évanescente des couleurs qui se répandent à l’horizon, à l’aube et au coucher du soleil. Cela, tout en défiant l’âpreté d’une côte aux contours ardus et irréguliers, où se succèdent criques suggestives et falaises escarpées.
Conquis par la beauté de ces lieux et désireux de s’en approprier, l’homme a patiemment oeuvré afin d’y pouvoir s’installer, en façonnant le terrain pour l’exploiter. C’est ainsi que, au fil du temps, les populations locales ont bâti, à la main, des murets de pierre sèche destinés à soutenir et délimiter des parcelles de terre plate, dénommées “ciàn”. Au total, il s’agit d’environ 8.400.000 mètres carrés de murs en pierre, dont la longueur se chiffre à 6.729 km. Ce travail, inouï et persévérant, a permis la création de terrassements, qui ont pu, enfin, accueillir potagers, oliviers et vignobles.
Au cours des siècles, les habitants de ces lieux se sont ressemblées autour de cinq petits villages, qui, tels des mosaïques colorées, ponctuent ce trait côtier rocheux : Monterosso, Vernazza, Corniglia, Manarola et Riomaggiore. Le village étant autrefois désigné en tant que “terra”, le territoire réunissant ces bourgs pittoresques est baptisé les Cinque Terre. Les habitations de ces villages, qui se caractérisent par des façades aux tons vifs, sont édifiées en style génois : plutôt étroites, elles se développent en hauteur, telles des maisons – tours. D’entre celles-ci, se dénouent, sinueuses, des ruelles étriquées mais charmantes – les « carruggi », ou « caruggi » – qui dessinent des parcours évocateurs au coeur de ces bourgs, riches d’histoire et traditions.
En provenance de Gênes, en direction de La Spezia, Monterosso est le premier village faisant partie des Cinque Terre. Ce bourg fut mentionné pour la première fois dans des documents officiels en 1056. Á l’origine village de pêcheurs, Monterosso se développe fortement à partir de 1214, quand les Seigneurs de Lagneto – qui habitaient le château dont aujourd’hui ne restent que des ruines – stipulèrent un accord avec Gênes. Des imposantes fortifications voient ainsi le jour, afin de protéger le bourg des incursions de pirates. Aujourd’hui, Monterosso, qui est le village le plus étendu des Cinque Terre, se compose de deux fractions: le vieux bourg et Fegina, la zone la plus touristique, qui donne également son nom à une belle plage de sable – une rareté aux Cinque Terre – recensée d’entre les 25 plages les plus sexy du monde par le magazine américain Forbes. D’entre les monuments d’intérêt historique, artistique et architectural abrités par le village, l’église S. Giovanni Battista (XIV siècle), le château des Fieschi – famille aristocrate qui s’opposa à la domination de Gênes – la tour Aurora et le monastère, avec son église S. Francesco, où l’on peut admirer des toiles attribuées à Antoon Van Dyck, Luca Cambiaso, Domenico Piola et Guido Reni. La villa du poète Eugenio Montale, qui habita Monterosso dès son enfance, se trouve à Fegina. Aujourd’hui, un parc littéraire à son nom permet d’apprécier son œuvre, tout en découvrant les parcours qu’il affectionnait au sein du bourg. Encore à Fegina, se trouve « Nettuno il Gigante » (Neptune le Géant), une imposante statue en béton armé construite au début du XX siècle, qui soutenait, à l’époque, une magnifique terrasse panoramique en forme de coquillage. L’église de Soviore, qui surmonte Monterosso, est l’un des sanctuaires les plus anciens de la région Ligurie (VIII siècle) : une légende narre que, à l’origine, ceci fut bâti là où un prêtre, guidé par une colombe, trouva une « Pietà » en bois, enterrée depuis des siècles par les anciens habitants du lieu, fuyant les troupes lombardes de Rotari, qui dévastèrent la région en 640. Le peuple en fuite se réfugia sur une colline connue telle Monte Rubeo à cause de la couleur rougeâtre du terrain, qui est à l’origine du nom Monterosso.
En descendant la côte, poursuivant le chemin vers La Spezia, chef lieu de ce département de la région, l’on rejoint le bourg de Vernazza. Sa structure architecturale, tout comme nombre d’éléments précieux caractérisant les constructions – loggias, maisons – tours et porches – témoignent de la richesse acquise par le village à l’époque du Moyen Age. Sous la domination de Gênes, Vernazza devient un port de renom, ainsi qu’une importante base d’intérêt stratégique et militaire. Une série de fortifications – le château Doria et sa tour cylindrique – avaient été érigées entre le bord de mer et le centre du bourg, organisé autour d’une seule rue centrale, à partir de laquelle se ramifient des raides escaliers, les «arpaie». Il paraît que ce village ait été l’un des lieux privilégiés des romans, qui s’y rendaient pour acheter le vin local, la « vernaccia », d’où viendrait le nom même du hameau.
D’entre les monuments historiques caractérisant ce village, l’église Ste Margherita d’Antiocha, bâtie en style roman – génois, au sein de laquelle l’on peut admirer à la fois une partie médiévale, et une deuxième, datant de la renaissance. Le sanctuaire du bourg, Nostra Signora Di Reggio, remonte au XIII siècle, quand il fut édifié sur les ruines d’une structure plus ancienne. Ici, on vénère une représentation de la Madonna Nera (la Vierge Noire à l’enfant, dite L’Africaine), dont on évoqua les vertus miraculeuses dans un décret de 1771.
Après Vernazza, l’on rencontre le petit village de Corniglia. Celui ci – qui se dresse sur un promontoire rocheux – est le seul bourg des Cinque Terre à ne pas avoir un accès immédiat sur la mer. Même son architecture – qui diffère de celle des autres bourgs, avec ses habitations larges et basses – témoigne d’une vocation agricole plutôt que maritime.
De la gare, pour rejoindre ce village comme jadis, il faut monter un escalier de 377 marches – baptisé « Lardarina » – en haut duquel le centre du bourg frôle des aires cultivées en oliviers et vignobles. D’ailleurs, ce petit village – qui a des origines romaines – doit son nom au colon Corneliu, qui fut un célèbre producteur de vin : preuve en est, des amphores lui appartenant ont même été retrouvées lors des fouilles de Pompéi. Le principal monument de Corniglia c’est l’église de S. Pietro, érigée en style gothique – génois sur les ruines d’un édifice religieux preéxistant (1334). Á l’intérieur, quelques éléments baroques témoignent des successives interventions.
Aujourd’hui, presque rien ne reste des fortifications de Corniglia (1556) ; quant aux édifices le plus prestigieux, ils se caractérisent par des détails décoratifs qui les différencient de l’architecture des autres bourgs, car Corniglia fut l’un des lieux de résidence des Seigneurs Fieschi.
Entre Corniglia et Riomaggiore – qui est le dernier bourg des Cinque Terre en direction de La Spezia – se trouve le petit village de Manarola, fondé au cours du XII siècle par les habitants du proche hameau de Volastra, en quête d’une débouché sur la mer. Entouré de vignes et d’oliviers (son nom dériverait de « vicus oleaster », le « village de l’huile »), Volastra offre, d’ailleurs, une vue magnifique sur les Cinque Terre. A témoigner de cette « filiation », une inscription sur l’église de San Lorenzo, à Manarola, qui fut bâtie en 1338, et qui témoigne de la collaboration entre les gens de ces deux bourgs. Particularité de cette église: un clocher séparé de l’édifice principal, car obtenu en réaménageant une structure plus ancienne, autrefois consacrée à la défense du territoire.
D’après nombre de sources, le nom Manarola viendrait de « magna roea », « grande roue », se référant aux engrenages d’un moulin, anciennement situé à proximité du village.
De Manarola, qui est un canton de Riomaggiore, l’on peut facilement rejoindre, à pied, ce dernier bourg. Cela, en parcourant la Via dell’Amore: un sentier aménagé qui permet de se promener tout au long de la côte, en hauteur, en profitant de sublimes paysages.
Riomaggiore – qui se trouve à seulement quelques minutes de train de la Spezia – doit son nom à un cours d’eau, aujourd’hui couvert: le Rivus Maior.
Les premiers témoignages officiels concernant Riomaggiore datent du 1239: à cette époque, les gens du district de Carpena, dont les habitations étaient disséminés sur le coteau, à mi-hauteur, jurent leur fidélité à la Compagnie de Gênes, se déplaçant ainsi, quelques années plus tard (1251) à proximité de l’embouchure du Rivus Maior, pour bénéficier d’une escale maritime.
Bâti entre deux collines escarpées aménagées en terrassements, Riomaggiore se caractérise par ses ruelles pittoresques et par ses maisons – tours bariolées. Ici, ces habitations développées en hauteur sur un terrain tout en pente disposent d’un double accès: le premier, par la façade principale, l’autre par l’arrière maison, au niveau des étages supérieurs. Cela, pour pouvoir disposer d’une voie de fuite supplémentaire lors des attaques des pirates sarrasins. Le château de Riomaggiore se trouve en hauteur, sur la colline Cerricò : il fut d’abord construit par les Seigneurs Turcotti de Ripalta, puis réaménagé par les Génois, qui, plus tard, prirent possession du village.
L’église de San Giovanni Battista, érigée en 1340, fut restaurée en 1870, et présente aujourd’hui une façade néogothique: à l’intérieur de l’édifice, l’on peut admirer le Crucifix en bois d’Anton Maria Maragliano, ainsi qu’un tableau datant du XVII siècle, attribué à Domenico Fiasella.
Proche de l’église, se trouve la maison de Telemaco Signorini, peintre précurseur du mouvement des « Macchiaioli » qui fréquenta longuement ce bourg, entre 1860 et 1895: sa production artistique, reproduisant les paysages caractéristiques de ces lieux, témoigne de ses habituels séjours.
Aujourd’hui, Riomaggiore est mentionné comme étant l’aire principalement consacrée à la production des vins typiques de ces lieux: le Cinque Terre – un vin sec, idéal pour accompagner des recettes à base de poisson et légumes frais – et, surtout, le Sciacchetrà, un vin « passito » – sucré – rare et très prisé, aux senteurs de miel et dont l’arrière goût évoque des notes d’amande.
Autres spécialités des Cinque Terre, les anchois de Monterosso et le Limoncello, liqueur savoureux, à base de citron.
Paysage unique au monde, les Cinque Terre témoignent d’une connivence constructive et harmonieuse entre l’homme et la nature: ici, les habitants ont su se tailler une place au cours des siècles, tout en respectant la conformation naturelle du terroir et ses caractéristiques. Autrefois, pêche et agriculture – potagers, mais surtout oliviers, citronniers et vignobles – constituaient les principales ressources du lieu, alors qu’aujourd’hui les principales activités économiques sont liées au tourisme. Néanmoins, il s’agit de lieux de calme, très ancrés à leur histoire et à leurs traditions. Il est possible de les visiter en bateau, ou bien en parcourant, à pieds, les longs sentiers et tortilles qui amènent d’un village à l’autre et qui, autrefois, constituaient les seuls chemins reliant les hameaux. Depuis 1874, les cinq villages sont également régulièrement reliés par la ligne ferroviaire Gênes- La Spezia.
Avant de partir, sachez que des excursions organisées aux Cinque Terre depuis Florence sont possibles. Après deux heures de route, vous atteignez le paysage étonnant des Cinque Terre, ces cinq petits villages entourés de collines et de vignobles qui semblent suspendus entre la terre et la mer.
Les Cinque Terre permettent aux amoureux de sports à ciel ouvert de s’adonner à nombre de disciplines: de la randonnée aux immersions, en passant par l’équitation et le VTT. En hiver, il est possible de pratiquer le parapente, à Monterosso.
Infos pratiques :
Consorzio delle Cinque Terre : http://www.cinqueterre.it
Parc National des Cinque Terre: http://www.parconazionale5terre.it/Crédits photos : Valentina Tosi et Archive photographique Provincia della Spezia