Joyau de la Belle époque, la gare de Lyon, est encore aujourd’hui synonyme de départ en vacances pour la Côte d’Azur ou les Alpes. Entre ses murs, à deux pas du Train Bleu, il y une œuvre d’art trop souvent méconnue, voire ignorée, des voyageurs. À tort. Cette peinture mériterait de figurer dans un musée, tant par sa beauté esthétique que par ce qu’elle représente.
« Cathédrale de l’humanité nouvelle », comme disait l’écrivain et critique d’art Théophile Gautier, la gare de Lyon se dresse au cœur du quartier des Quinze-Vingts (dans le 12e arrondissement). Imposante. Triomphante. Sa façade principale, orientée vers le boulevard Diderot, est percée de sept entrées et flanquée d’une tour haute de 64 mètres coiffée d’un dôme en métal doré. Cet impressionnant beffroi réalisé par Paul Garnier a des faux airs de « Big Ben ». Tic tac, tic tac… Les aiguilles des quatre cadrans de 6,40 m de diamètre imposent leur diktat. Une petite famille, bagages en main, lève le regard, presse soudain le pas. Le temps passe vite et les trains n’attendent pas. Il faut franchir le seuil – avec ces attachants retardataires – pour pénétrer dans ce monde parallèle, enchanteur pour les uns, stressant pour les autres, empli de bruits, de crissements, de rumeurs, de personnes pressées et empressées, de lumières multicolores des signaux ou des guichets automatiques. De l’acier, partout, brillant comme celui des rails, ou plus terne comme celui de la verrière. Une chainette cliquette, un signal sonore retentit, un TGV est lancé à une vitesse vertigineuse, direction la Côte d’Azur ou les Alpes. D’autres étalons à traction électrique arrivent essoufflés, s’arrêtent à quai, épuisés après leur folle cavalcade à travers les campagnes françaises, déchargent leur flot de passagers sur les quais, ces trottoirs parisiens foulés par 105 millions de voyageurs par an.
Ici, la masse impose sa volonté. On regarde autour de soi, déconcerté, repoussé, emporté, balloté, réintégré dans le mouvement général. Fort heureusement, l’ivresse de la marée s’estompe, disparaît enfin. Le cerveau a résorbé la déflagration de données. Le gigantesque panneau d’affichage, lui, se met en branle, efface les traces du train parti, indique les quais des départs imminents. Nouvelles migrations… Trônant au-dessus d’un escalier à double révolution, le restaurant Le Train Bleu, haut lieu de la gastronomie parisienne, offre à tout gourmet à la lippe avide, prêt à dégainer les couverts et à alléger son portefeuilles de quelques billets, arbore un cadre prestigieux aux renversants plafonds circulaires exécutés par Guillaume Dubufe et Gaston Casimir Saint-Pierre. Habitué à faire bombance dans ce lieu mythique, Jean Giraudoux disait à qui voulait l’entendre : « Cet endroit est un musée, mais on l’ignore. » À raison. La gare de Lyon recèle bel et bien des trésors dignes d’un temple dédié aux beaux arts. Une nouvelle preuve ?
Le succès du PLM est sur les rails. Entre les deux plateformes, la grande salle des pas perdus déroule au-dessus des guichets – aujourd’hui en pleine rénovation – une magnifique fresque, longue de près d’une centaine de mètres, sur laquelle quelques unes des principales destinations desservies au départ de la gare de Lyon sont représentées. De gauche à droite : Paris, Fontainebleau, Auxerre, Vézelay, Semur-en-Auxois, Dijon, Beaune, Autun, Tournus, Cluny, Paray-le-Monial, Lyon, Avignon, Nîmes, Montpellier, Marseille, Toulon, Nice, Monte-Carlo et Menton. L’histoire de cette étonnante œuvre est intimement liée à celle de la gare, à l’évidence, mais aussi et surtout à celle du PLM (Paris, Lyon et Méditerranée). Flashback… Au milieu du XIXe siècle, le réseau ferroviaire français est partagé entre différentes compagnies privées. Le PLM est l’une d’entre elles. Née de plusieurs fusions en 1857, la société exploite les lignes du sud-est de l’hexagone, notamment la Côte-d’Azur, la Provence, les Cévennes et les Alpes. Autrement dit : des régions riches, à forte densité de population et prisées par les touristes fortunés. À l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, elle décide de s’offrir une gare flambante neuve. Pourquoi pas ? Paris est en pleine ébullition. De somptueux édifices fleurissent ici et là. Et l’ancienne station, disgracieuse, sans aucun caractère, lotie seulement de trois voies de départ et deux d’arrivée, n’est plus assez grande pour accueillir le trafic croissant de voyageurs – de 1 630 000 départs en 1880, il passe à 3 259 000 en 1896.
Mettre en valeur les destinations phares. Vitrine de prestige du PLM, la gare remaniée de 1895 à 1902, d’après le projet de l’architecte toulonnais Marius Toudoire, pour près de 20 millions de francs (environ 122 millions d’euros), peut dès lors se targuer de posséder 13 voies (actuel Hall 1). Élégante, fonctionnelle, déployée sur un seul niveau et flanquée de son « Big Ben » pour saluer les nombreux touristes anglais de passage à bord du Calais-Méditerranée-Express, bientôt surnommé le « Train Bleu », elle est la digne fille de cette Belle époque. Du côté de la cour de Chalon, la grande salle des pas perdus est décorée d’une première fresque composée de 9 tableaux peints par Jean-Baptiste Olive. « Lyon, Avignon, Nîmes, Montpellier, Marseille, Toulon, Nice, Monte-Carlo, Menton… La commande passée à l’artiste a pour seul dessein de mettre en valeur les destinations phares, “tendance”, comme on dirait aujourd’hui, de la ligne. Valoriser ce que le PLM a de mieux à offrir ! La côte d’Azur est, à cette époque, la garden party de la haute société française, mais aussi étrangère, notamment britannique. Hommes d’affaires, industriels, banquiers, princes et princesses, rois et reines y aiment passer les saisons hivernales », explique Clive Lamming, l’historien des chemins de fer, auteur de soixantaine d’ouvrages, parmi lesquels Paris au temps des gares (Parigramme) et Trains de légende (Atlas).
Fenêtre ouverte sur le paysage français. L’allongement de la fresque avec 11 tableaux supplémentaires ne sera réalisé que 80 ans plus tard ! Proposée devant une commission le 22 octobre 1979 à Paris, l’étude est soumise à l’approbation M. Ferray, inspecteur général des Monuments historiques. La restauration des fresques existantes et la réalisation des nouvelles sont confiées à l’atelier Genovesio, spécialisée en restauration de tableaux anciens et peintures murales. Les établissements SPSD et Combarieu sont, quant à eux, chargés de préparer les fonds. Jean-Paul Letellier, l’artiste peintre, s’attèle à la tâche d’avril 1980 à mars 1981… Le résultat est sous vos yeux. Magnifique, malgré une mise en valeur encore discutable – les travaux de réaménagement de la salle des guichets contribueront-ils à une quelconque amélioration ? Les tableaux se fondent les uns dans les autres. Paris, la capitale, point de départ d’un voyage d’au moins 8 heures au début du XXe siècle, est dominée par un panthéon resplendissant. Si l’on prend la peine de regarder de plus près, on s’aperçoit qu’une dévergondée se tient en tenue d’Eve dans l’encadrement de l’une des mansardes de la première maison ! Clin d’œil de l’artiste. Et invite à poursuivre le périple à travers les autres étapes de la ligne… Il suffit d’écarter les buissons pour flâner dans les jardins du château de Fontainebleau, jouir de la campagne d’Auxerre, admirer l’abbaye de Vézelay, et ainsi de suite jusqu’à Menton. Chaque ville est reconnaissable à son principal monument. Un étonnant panorama de notre douce France, classé à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1984, à contempler, avant de monter à bord du prochain TGV.
http://www.gare-de-lyon.info/
Par Hugo Nash (Victor Battaggion)