Originale, hors du temps et avant-gardiste, l’expérience dans l’univers de la Grenouillère se vit un peu comme une fable alliant le sens et la méthode. La maison est bien fléchée, à la sortie de la Madelaine-sous-Montreuil, au détour d’un virage. Un grand panneau noir, lettres blanches élégantes, promet déjà une expérience différente.
À deux bonnes heures de Paris en voiture, une heure de Lille (beaucoup viennent en train jusqu’à Montreuil-sur-Mer et finissent les trois kilomètres en taxi), la bonne idée est d’arriver tôt pour découvrir un lieu habité par un personnel chaleureux qui semble vous attendre.
Dans les pas des anciens
On ne vient pas chez Alexandre Gauthier comme on va dans un simple restaurant étoilé. Attiré par une solide réputation construite comme une rumeur, « vous savez… cet endroit unique, caché là-bas dans un coin méconnu du Nord ? », y arriver tôt permet de découvrir l’originalité de votre chambre, l’une des huit huttes récentes, camouflées sous l’osier et postées dans les herbes folles d’un marais comme un poste de guet pour la chasse aux canards. La Grenouillère est une adresse des plus atypiques, et avoir pris la peine de chercher à savoir ce qu’elle était avant d’y entrer permet d’être emballé dès les premiers instants. Bois, zinc, chanvres, bétons cirés, pierres et murs noirs confèrent à l’endroit un joli décalage, surtout quand d’ingénieux objets d’usage industriel sont détournés au profit de la décoration et du confort. À la suite de son père qui avait acquis ce vieil établissement de cent vingt ans, classé au Michelin depuis 1936, et qui en avait fait un lieu dit réputé pour ses assiettes de truite saucées et de grenouilles goûteuses, Alexandre Gauthier, chef de 34 ans, a repris les rênes de la maison depuis une dizaine d’années et y a installé « sa » propre cuisine. Prolixe autant qu’énergique, il vous raconte facilement toute l’histoire de la maison, comment et pourquoi il en est arrivé là, ses futurs projets, en un coup de cuillère à pot.
Une découverte des sens
« Sa » cuisine, justement, se découvre dans la grande salle à manger d’un bâtiment conçu comme une forge contemporaine, ouverte sur la nature par de grandes baies vitrées contemporaines. Le soir, de l’éclairage habilement tamisé fait surgir du fond du paysage les fortifications de Montreuil. Que le bal commence !
Car il s’agit bien d’un bal, gastronomique, mettant en scène plats mystérieux et saveurs inédites. Crevettes grises et tofu de chèvre, tourteau et melon, cornichon et tarama à l’estragon, saint-pierre et épinard fumé, courge jaune et coques, grenouilles meunières, girolles peau de lait, cochon comme un jambon, pomme de terre et fraise, bulle du marais, billes de lait et reine-des-prés…, sans compter les grignotages en avant-propos et les mignardises clôturant l’expérience.
Onze plats étonnants, graphiquement autant que gustativement, du grand menu (neuf plats au petit menu), issus d’une carte imprimée sur papier bible, froissée, raturée et ornée d’une très belle photo de paysage énigmatique et brumeux. Un concert de saveurs salées, sucrées, croustillantes, iodées, douces, piquantes, sensuelles, issues des grands pianos structurant une cuisine largement ouverte sur les tables d’un public épaté et conquis. Une partition ultra précise autant qu’improvisée au gré des produits et des surprises du jour, jouée midi et soir par une équipe de onze cuisiniers transformés ici en artistes culinaires. Tous les jours, Alexandre Gauthier nous donne le meilleur des produits de son territoire avec beaucoup de maestria et surtout, ce qui est important pour lui, beaucoup d’humilité.
Rue de la Grenouillère, 62170 La Madelaine-sous-Montreuil. Tél. : +33 3 21 06 07 22. http//lagrenouillere.fr